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Principaux développements dans la réglementation des marchés financiers et la défense des crimes économiques

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, Stéphane Eljarrat, Shawn Irving, Lauren Tomasich, Malcolm Aboud, , Frédéric Plamondon

Le 13 décembre 2019

L’année a été marquée par une forte activité réglementaire, législative et politique, ce qui a eu une forte incidence sur les mesures d’application de la loi visant les marchés financiers et les crimes économiques. Les nouvelles structures d’application et les mesures législatives témoignent du désir politique de permettre aux organismes d’application de la loi de mieux combattre le crime économique. Par contre, l’utilisation efficace des nouveaux « accords de réparation » a été menacée par les événements hautement médiatisés mettant en cause SNC-Lavalin (SNC). 

L’Ontario crée le Bureau de la lutte contre la fraude grave

En août 2019, le gouvernement de l’Ontario a annoncé la création de son Bureau de la lutte contre la fraude grave (le BLFG de l’Ontario), groupe de travail mixte composé d’enquêteurs et de procureurs de la Couronne spécialisés qui disposent des ressources nécessaires pour s’attaquer aux crimes économiques complexes. La création du BLFG de l’Ontario fait suite à l’établissement de structures semblables au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le BLFG se concentrera essentiellement sur les cas de fraude ou de corruption graves ou complexes, et il aura le pouvoir de demander des sanctions pénales. On s’attend à ce que le BLFG de l’Ontario œuvre de concert avec les organismes d’application de la loi de l’Ontario et adopte une approche intégrée des enquêtes complexes semblable à celle de l’équipe intégrée de la police des marchés financiers de la GRC et de l’Unité permanente anticorruption du Québec.

À ce stade précoce, on dispose de peu de détails sur le BLFG de l’Ontario. Aucune directive ni aucun autre document n’ont été publiés.

Le mandat du BLFG sera limité par les contraintes relatives à la compétence. Comme les fraudes financières compliquées dépassent souvent les frontières provinciales, une stratégie d’application nationale donnerait lieu à une approche plus globale et plus cohérente et rehausserait, à l’échelle mondiale, la réputation de nos marchés en ce qui concerne la lutte contre les crimes économiques et les mesures d’application.

Le groupe de travail sur la réduction du fardeau réglementaire de la CVMO

En janvier 2019, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a annoncé la formation d’un groupe de travail sur la réduction du fardeau réglementaire, visant à atténuer le fardeau qu’impose la réglementation et à accroître la compétitivité. Dans le cadre de cette initiative, la CVMO a lancé un processus de consultation publique comportant trois tables rondes, tenues en mars et en mai 2019, au cours desquelles les parties prenantes ont présenté des suggestions sur les façons de réduire le fardeau réglementaire.

Le 19 novembre 2019, le groupe de travail sur la réduction du fardeau réglementaire a publié son rapport final. Ce rapport fait état de plus d’une centaine d’initiatives axées sur 34 préoccupations sous-jacentes qui ont été soulevées par des membres du personnel et par des parties prenantes au cours du processus de consultation publique. La CVMO a confirmé que les initiatives de réduction du fardeau qui relèvent entièrement de sa compétence seront mises en œuvre d’ici un an. D’autres changements (ceux qui nécessitent des modifications législatives, une harmonisation avec d’autres organismes de réglementation ou des investissements à long terme dans la technologie, les systèmes ou l’expertise) seront prévus à plus long terme.

Au cours de la mise en œuvre, le marché a fortement appuyé le passage d’une approche de la réglementation axée sur les règles à une approche fondée sur les principes. Conformément à la tendance générale en matière de lois et règlements au Canada, le fait de délaisser une approche fondée sur une « liste de vérification » pour adopter une approche davantage axée sur les principes est perçu comme un changement favorisant l’efficience, la souplesse et l’innovation.

Examen de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario

Dans son Énoncé économique de l’automne 2019, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il allait procéder à un vaste examen et à la modernisation de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, qui n’avait pas été passée en revue depuis 15 ans. L’objectif déclaré de l’Ontario est de moderniser le cadre réglementaire des valeurs mobilières afin qu’il puisse s’adapter à l’innovation et à l’évolution rapide du marché. Un groupe de travail sur la modernisation des valeurs mobilières sera mis sur pied en vue d’obtenir les commentaires des parties prenantes et de présenter des recommandations stratégiques sur des aspects cruciaux ciblés par le gouvernement, comme le renforcement de la compétitivité, la structure réglementaire, l’efficience de la réglementation et la protection des investisseurs.

Par ailleurs, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il adopterait une loi abrogeant la Loi sur la Bourse de Toronto et modifiant la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario afin, notamment, de permettre à la CVMO de rendre des décisions générales soutenant une plus grande efficience des marchés financiers.

De nouveaux pouvoirs pour la B.C. Securities Commission

En octobre 2019, le gouvernement de la Colombie-Britannique a présenté des modifications à la Loi sur les valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, ce qui aura pour effet d’augmenter considérablement les pouvoirs d’application de la loi de la British Columbia Securities Commission (BCSC) en vue de lutter contre le crime économique. Par ailleurs, ces réformes établiront un système moderne de réglementation des produits dérivés et des repères financiers qui sera harmonisé avec ceux des autres territoires de compétence du Canada. En annonçant ces réformes, le ministre des Finances de la Colombie-Britannique a déclaré que la nouvelle législation permet au BCSC d’offrir les meilleures protections au Canada pour ceux qui investissent, et d’appliquer les pénalités les plus lourdes pour ceux qui ne suivent pas les règles.

Le projet de loi ajoutera un certain nombre de nouveaux outils à la trousse dont dispose déjà la BCSC en matière d’enquête et de collecte, notamment les suivants : le pouvoir d’obtenir des renseignements et de contraindre des témoins à témoigner ; une hausse des amendes maximales et des peines d’emprisonnement pour les infractions touchant les valeurs mobilières (peine d’emprisonnement de cinq ans et amende de 5 millions de dollars) ; des sentences minimums pour les récidivistes (au moins un an d’emprisonnement pour les récidivistes et pour les fraudes de plus de 1 million de dollars) ; la capacité d’imposer des sanctions administratives pécuniaires sans tenue d’audience pour les infractions aux règlements ou aux décisions ; le renforcement des obligations et des sanctions concernant la conservation des dossiers (y compris les données informatiques) ; la protection des dénonciateurs ; et l’accroissement des pouvoirs de la BCSC en matière de gel et de saisie de biens, dont les REER. 

Activités d’application de la loi

a) Aperçu de récentes procédures visant des crimes économiques

La dernière année a été marquée par certains développements concernant les crimes économiques et les mesures d’application.

Des procureurs canadiens ont obtenu deux condamnations en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE), dans l’affaire R. v. Barra and Govindia. Cette affaire découle des mêmes faits que dans une affaire jugée en 2013, dans le cadre de laquelle Nazir Karigar avait été reconnu coupable d’avoir comploté de verser des pots-de-vin à des représentants d’Air India et au ministre indien de l’Aviation civile en vue d’obtenir un important contrat. Il s’agit de la première condamnation au Canada en vertu de la LCAPE, depuis ce temps. Barra et Govindia ont été condamnés pour avoir enfreint le paragraphe 3(1) de la LCAPE, qui interdit d’offrir ou de convenir d’offrir des avantages à des agents publics étrangers. Dans sa décision, la Cour a fourni des indications utiles sur ce qui constitue un « complot continu » visant à verser des pots-de-vin, aux termes de la LCAPE. Chacun des défendeurs a été condamné à 30 mois d’emprisonnement.

Les procureurs ont également obtenu une condamnation notable pour le stratagème de corruption qui a permis à SNC d’obtenir un contrat de 1,3 milliard de dollars pour la construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Le 1er février 2019, l’ancien PDG de SNC, Pierre Duhaime, a plaidé coupable d’abus de confiance pour le rôle qu’il a joué dans le stratagème. Pierre Duhaime a été condamné à 20 mois de détention à domicile et à 240 heures de travail communautaire, et il doit verser un don de 200 000 $ à des victimes de crime. La condamnation de Pierre Duhaime fait suite à celle de Yenai Elbaz, ex-directeur général du CUSM condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans pour sa participation au stratagème.

b) Développements dans les dénonciations

En février 2019, la CVMO a annoncé qu’elle avait accordé ses toutes premières récompenses dans le cadre du Programme de dénonciation, lancé en 2016. Trois dénonciateurs, dans des affaires différentes, ont reçu au total 7,5 millions de dollars pour avoir, selon la CVMO, fourni des « renseignements de haute qualité, opportuns, précis et crédibles, ce qui a permis de mettre de l’avant des mesures d’application qui ont donné lieu à des paiements monétaires à la CVMO ». Cependant, l’une des principales lacunes du programme est le manque de transparence quant aux destinataires de ces récompenses, aux affaires concernées et à la nature des renseignements.

c) Développements concernant l’application de la réglementation sur les marchés financiers

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les ACVM) ont publié leur Rapport sur l’application de la loi annuel pour l’exercice 2018-2019, qui présente des statistiques sur l’application de la loi ainsi que les priorités des ACVM. Cette année, l’accent était placé sur l’application de la loi à l’heure du numérique ; plus particulièrement, il était question de décourager les abus touchant les cryptomonnaies.

Le rapport souligne que les membres des ACVM ont poursuivi l’élaboration et le déploiement de nouvelles technologies qui améliorent leur capacité de scruter le fonctionnement de nos marchés. Citons notamment la plateforme d’analyse des marchés (MAP pour Market Analysis Platform), conçue pour aider les membres des ACVM à mieux cerner et analyser les abus sur le marché au moyen d’un système central de dépôt et d’analyse de données.

Le Rapport sur l’application de la loi présente également des statistiques pour l’exercice : les membres des ACVM ont mené à terme 94 causes, impliquant 177 intimés, une légère baisse par rapport à 2018. La grande majorité de ces causes avaient trait à des placements illégaux (72 affaires) et à des fraudes (32 affaires), ce qui concorde avec les proportions énoncées dans le rapport de 2018.

Les amendes et les sanctions administratives infligées au cours de l’exercice ont légèrement augmenté par rapport à l’exercice précédent (elles sont passées de 65 millions de dollars à 77,5 millions de dollars), une forte augmentation ayant été notée pour les restitutions et les remises de sommes.

En 2019, diverses affaires ont traduit l’engagement soutenu des organismes de réglementation à la prise de mesures d’application, ainsi que la volonté des tribunaux à imposer des pénalités importantes :

  • La CVMO a accepté un règlement de 30 millions de dollars dans l’affaire Katanga Mining Limited, ce qui constitue l’une des sanctions pécuniaires les plus lourdes de l’histoire de la CVMO. En décembre 2018, un comité de la CVMO a approuvé le règlement, qui avait trait à des inexactitudes dans les états financiers de Katanga ainsi qu’à des infractions en matière de divulgation et de lacunes dans les contrôles internes relatifs à son exploitation en République démocratique du Congo.
  • La Direction des enquêtes criminelles de la BCSC a ouvert une enquête sur Ayaz Dhanani, et des accusations ont ensuite été portées en vertu du Code criminel et de la Loi sur les valeurs mobilières de la Colombie-Britannique. Ayaz Dhanani a été accusé d’avoir frauduleusement sollicité, auprès de résidents de la Colombie-Britannique, près de 200 000 $ d’investissements qu’il s’est appropriés. Il contrevenait ainsi à une ordonnance de la BCSC, qui avait fait suite à la conduite frauduleuse de M. Dhanani et qui lui interdisait de s’adonner à des activités liées aux investissements. M. Dhanani a été condamné à une lourde peine d’emprisonnement de 36 mois, en plus de devoir restituer les sommes aux cinq victimes.
  • La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision d’un comité de la CVMO concernant Sino-Forest Corporation. Le comité de la CVMO a conclu que des dirigeants de Sino-Forest avaient orchestré une fraude complexe visant à gonfler les actifs et les revenus de la société. La Cour d’appel a confirmé certaines des pénalités les plus importantes imposées par la CVMO, notamment des sanctions administratives, la remise de profits et l’interdiction à vie de participer au marché.
  • La CVMO a approuvé des ententes de règlement avec deux banques canadiennes relativement à la surveillance et aux contrôles dans le commerce de devises de ces banques entre 2011 et 2013. Les deux banques ont collaboré avec la CVMO et ont accepté volontairement de verser des paiements en vue d’aider la CVMO à remplir son mandat, qui consiste à protéger les investisseurs, et de couvrir les coûts de l’enquête menée par le personnel de la CVMO. Les deux banques ont amélioré par la suite les régimes de surveillance et de contrôle de leurs activités sur le marché des devises.

Avancées dans le secteur des cryptomonnaies

Les organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens continuent à faire enquête et à prendre des mesures d’application contre les auteurs présumés d’actes répréhensibles dans le monde des cryptoactifs :

  • En février 2019, la CVMO a obtenu une ordonnance permanente interdisant en Ontario les opérations sur titres à une société établie à Dubaï qui offrait des produits financiers associés à des cryptomonnaies en Ontario.
  • En juillet 2019, la CVMO a approuvé le règlement avec CoinLaunch Corp., qui agissait à titre de « société d’experts-conseils spécialisés en cryptoactifs » offrant des services de marketing et de promotion à d’éventuels émetteurs de jetons de cryptoactifs. CoinLaunch a été reconnue coupable du non-respect des exigences d’inscription à titre de courtier en vertu des lois sur les valeurs mobilières de l’Ontario, et a convenu de verser quelque 50 000 $ en pénalités, remises de sommes et frais. Même si, de l’avis de la CVMO, la sanction pécuniaire était « relativement modeste », la CVMO a souligné le fait que les sociétés du secteur des cryptoactifs qui ne respectent pas les obligations d’inscription doivent s’estimer « prévenues » et « peuvent raisonnablement s’attendre à des conséquences plus graves » à l’avenir.
  • En Colombie-Britannique, la BCSC a ouvert des enquêtes sur deux plateformes de négociation de cryptoactifs. Elle a obtenu une ordonnance du tribunal visant la nomination d’un séquestre intérimaire dans le cadre de l’une de ces enquêtes, car la plateforme n’avait pas fourni à la BCSC les renseignements demandés.

Des mesures d’application semblables ont été prises aux États-Unis par la Securities and Exchange Commission à l’encontre de participants au monde des cryptoactifs. Consultez notre article intitulé Éclaircissement de la réglementation sur les cryptoactifs pour de plus amples renseignements sur les cryptoactifs.

Le point sur les accords de réparation

Le régime d’accords de réparation du Canada connaît des débuts difficiles. En septembre 2018, un régime d’accords de poursuite suspendue (APS) a été adopté en vertu des lois canadiennes. Un accord de réparation (entente volontaire entre la Couronne et une organisation accusée de certains crimes économiques tels que la fraude et la subornation) constitue une solution de rechange à la poursuite d’une organisation pour infractions criminelles. Si un accord de réparation est conclu, l’enquête ou la poursuite en cours est suspendue et l’organisation doit prendre parallèlement des engagements précis qu’elle doit honorer afin d’éviter de faire face à de potentielles accusations criminelles. Une fois que la société faisant l’objet de l’accusation a respecté les conditions de l’accord de réparation, les accusations sont abandonnées. Les accords de réparation doivent être approuvés par un juge, qui doit être d’avis que l’accord est dans l’intérêt public et que les conditions de l’accord sont équitables, raisonnables et proportionnées.

Le but sous-jacent du régime d’APS est d’inciter les entreprises à déclarer volontairement leurs actes répréhensibles et à atténuer les conséquences négatives de ces actes sur des tiers innocents, y compris les employés innocents de l’organisation accusée. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les infractions aux termes de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, la Couronne ne peut pas prendre en compte l’intérêt économique national, les effets potentiels sur les relations avec un État autre que le Canada, ou l’identité de l’organisation ou de la personne en cause, dans sa décision d’offrir ou non un APS.

Aucun accord de réparation n’a été annoncé au Canada depuis l’entrée en vigueur du régime d’APS. L’une des premières demandes déposées en vue de profiter du nouveau régime d’APS a donné lieu à une tempête politique. Le directeur des poursuites pénales (DPP) a refusé d’inviter SNC à négocier un accord de réparation découlant d’accusations de fraude et de corruption à l’étranger. Par la suite, la ministre de la Justice et procureure générale de l’époque a accusé le Cabinet du premier ministre de tentative d’ingérence politique dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de poursuite, en faisant pression sur elle pour qu’elle réexamine la décision du DPP. SNC a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du DPP auprès de la Cour fédérale, qui a confirmé que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un règlement relève du pouvoir discrétionnaire de poursuite du DPP et que, par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux, sauf en cas d’abus de procédure.

Conclusion

Les activités d’application de la loi qui ont eu lieu au cours de la dernière année ont témoigné des efforts constants visant à réformer et à améliorer les outils et les approches, à préciser l’orientation des organismes d’application de la loi, et à éviter certaines retombées de controverses qui pourraient avoir des conséquences inattendues.