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Points saillants des technologies : intelligence artificielle (IA), services financiers, technologie immobilière et chaînes de blocs

Auteur(s) : Sam Ip, Wendy Gross

Le 13 décembre 2019

Au cours de la dernière année, les tendances que nous avions abordées en 2018 se sont maintenues. Nous avons également observé que la mise au point et l’adoption de nouvelles technologies dans les entreprises établies continuent de s’accélérer dans de nombreux marchés verticaux, tant dans un contexte de vente d’une entreprise à un consommateur que dans un contexte de vente interentreprises. Comme les occasions d’innovation en matière d’intelligence artificielle (IA) et d’apprentissage automatisé, en particulier, continuent de croître, les débats se sont intensifiés en ce qui concerne la nécessité d’un cadre réglementaire pour veiller à l’utilisation éthique de l’IA et au caractère adéquat du régime canadien de protection de la vie privée. Parallèlement, des alliances stratégiques uniques se forment à un rythme accéléré dans le but de lancer de nouveaux produits et services, ce qui donne lieu à de nouvelles considérations commerciales sur la façon de traiter convenablement la répartition des risques et d’autres modalités dans ces ententes novatrices.

Comme par les années passées, l’innovation dans le secteur des services financiers au Canada se poursuit à un rythme soutenu. Les progrès concernant la modernisation des paiements et un système bancaire ouvert conduisent le Canada vers un écosystème de services financiers totalement différent et plus complexe, composé à la fois des joueurs actuels et des nouvelles sociétés de technologies financières.

Au cours de la dernière année, nous avons également été témoins de l’emploi de nouvelles expressions à la mode, notamment « PropTech » ou « technologie immobilière » et « UrbanTech » ou « technologie urbaine », puisque les clients exerçant leurs activités dans les secteurs traditionnels, comme l’immobilier et les infrastructures, avec en tête des initiatives comme le projet Sidewalk Toronto, commencent à reconnaître et à saisir les occasions offertes par les nouvelles technologies.

Le peu d’intérêt porté aux chaînes de blocs publiques constitue la dernière tendance intéressante observée en 2019. En revanche, les mises en œuvre de chaînes de blocs privées sécurisées se poursuivent à un rythme constant, mais elles ne s’accélèrent pas.

Adoption croissante des technologies reposant sur l’IA

Parmi les nombreuses avancées technologiques de la dernière année, l’IA continue d’occuper l’avant-scène. En 2019, un nombre en forte croissance d’organisations des secteurs public et privé a adopté des initiatives visant la mise en œuvre de l’apprentissage automatisé dans des secteurs clés de leurs activités. Comme prévu, cette activité a été particulièrement marquée dans les secteurs possédant le volume élevé de données pertinentes et structurées requis pour alimenter les algorithmes d’apprentissage automatisé, ainsi que les pratiques de gestion des données nécessaires à l’emploi efficace des données. Les secteurs comme les services financiers, les télécommunications, les chaînes d’approvisionnement, le transport et la vente au détail affichent une forte activité.

Popularité croissante des principes et des normes éthiques

Comme la présence de l’IA dans les entreprises établies ne cesse de croître, le débat sur la nécessité d’encadrer l’IA s’est aussi intensifié. Compte tenu de la lenteur avec laquelle les textes législatifs et réglementaires sont élaborés et adoptés, nous avons observé le rôle de plus en plus important que jouent des normes et des principes non législatifs visant l’adoption d’un langage et d’un cadre communs pour les activités commerciales normes et principes qui, comme l’a souligné le Conseil Stratégique des DPI, servent de substitut à la réglementation.

Au Canada, les directives et normes suivantes méritent d’être soulignées

  • Le 1er avril 2019, le gouvernement du Canada a publié sa Directive sur la prise de décision automatisée (la Directive), laquelle entrera en vigueur le 1er avril 2020. La Directive établit des exigences minimales auxquelles doivent se conformer les ministères fédéraux qui souhaitent utiliser un système de prise de décision automatisée, soit un outil technologique qui prend des décisions ou aide à prendre des décisions. La Directive a pour objet de veiller à ce que les systèmes décisionnels automatisés soient déployés d’une manière qui permet de réduire les risques pour les Canadiens et les institutions fédérales. Elle vise également une prise de décisions plus efficace, exacte et conforme qui peut être interprétée en vertu du droit canadien. La Directive est maintenant à l’étape de la mise en œuvre. D’autres lignes directrices sont attendues en 2020, lesquelles préciseront la manière dont les organisations peuvent se conformer à certaines exigences particulières, comme celles concernant la transparence et les avis explicatifs.
  • Le 2 octobre 2019, le Conseil Stratégique des DPI a publié sa nouvelle Norme nationale du Canada, la CAN/CIOSC 101:2019 – Conception éthique et utilisation des systèmes de décision automatisés, visant à aider les organisations à élaborer et à mettre en œuvre des solutions d’IA responsables. Cette norme établit un cadre et un processus qui peuvent tous deux faire l’objet d’une évaluation et d’une vérification à des fins de conformité. Le cadre vise à susciter la confiance des consommateurs à l’égard des technologies offrant de l’information et des recommandations et prenant des décisions au moyen de l’IA et de l’apprentissage automatisé.

Sur le plan international, les normes et principes suivants ont attiré l’attention :

  • En février, le comité mixte ISO/IEC JTC1/SC 42, chargé par l’Organisation internationale de normalisation d’élaborer des normes pour l’IA, a publié la norme ISO/IEC 20546:2019, laquelle énonce un ensemble de définitions et de termes communs visant à favoriser la communication et la compréhension des mégadonnées.
  • En mai, les pays membres de l’OCDE ont approuvé la Recommandation du Conseil sur l’intelligence artificielle, laquelle établit les principes d’une approche responsable en appui d’une IA digne de confiance. Peu après, en juin, le G20 a adopté les Principes du G20 sur l’IA, issus de la Recommandation de l’OCDE. Compte tenu du profil de l’OCDE et du G20, nous nous attendons à ce que de nombreuses normes régionales ou sectorielles renvoient à ces principes.

À l’aube de 2020, nous croyons que la conjoncture continuera de soulever de nouvelles questions juridiques complexes. Nous assisterons à l’adoption de règlements portant directement sur l’IA (notamment en matière de droits d’auteur, lesquels tiendront compte du rapport de conclusions de l’examen prévu par la loi de la Loi sur le droit d’auteur), et un grand nombre de normes et de principes éthiques convergeront. Conseiller des clients dans un cadre réglementaire aussi imprévisible comporte des enjeux uniques. Les praticiens de ce domaine doivent faire preuve de créativité et de vivacité d’esprit et s’assurer que leurs clients conservent, dans les ententes commerciales qu’ils concluent, la flexibilité nécessaire pour se conformer aux exigences réglementaires à mesure qu’elles évoluent.

Les questions telles que la protection de la vie privée ainsi que la sécurité et l’utilisation des données sont plus complexes que jamais

Bien que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada ait reconnu que l’intelligence artificielle est susceptible de procurer des avantages sociaux importants, il a aussi indiqué qu’elle pose des défis à la vie privée et à la protection des données et qu’elle devrait être mise au point en tenant compte de la « protection de la vie privée dès la conception et par défaut ».

À mesure que les solutions d’apprentissage automatisé se répandent et qu’elles dépassent la simple analyse des données, les questions relatives à la sécurité, à l’utilisation et à la qualité des données s’accentuent. Les modèles d’affaires de nombreux fournisseurs de solutions d’IA dépendent de leur capacité à utiliser les données des clients pour « former » leurs solutions et offrir la valeur promise. Par conséquent, les discussions sur les droits d’utilisation des données et la conformité réglementaire sont devenues plus complexes, puisqu’elles nécessitent de s’attarder à l’utilisation, à la sécurité et à la qualité des données, aux normes et aux processus en matière de dépersonnalisation, à la gestion des incidents et au consentement valide. Toutes ces questions doivent être examinées dans une conjoncture de plus en plus complexe où la conformité en matière de confidentialité des données est souvent une responsabilité partagée entre de nombreuses parties prenantes.

Les avocats responsables de conseiller des clients sur des accords commerciaux portant sur l’IA doivent souvent analyser de façon inédite des définitions larges des données contenues dans des ententes de services plus traditionnelles. Ils doivent tenir compte des éléments constitutifs des données, notamment les données d’entrée du client, les données extrapolées, les données préexistantes d’un fournisseur et les données produites. Il est de plus en plus nécessaire de se livrer à cette analyse pour s’assurer que les droits et les responsabilités de chaque partie en ce qui concerne l’utilisation et la sécurité des données ainsi que la protection de la vie privée sont traités de manière appropriée.

Compte tenu de la nécessité d’un cadre commun pour la délivrance des licences de données dans le contexte de l’apprentissage automatisé, une équipe multidisciplinaire formée d’avocats et de chercheurs canadiens issus de la communauté de l’IA a travaillé de concert pour publier La licence de données de Montréal, dans le but de dissiper les ambiguïtés relevées dans les licences de données courantes. Bien que l’on ignore encore si un nombre important d’organisations adopteront La licence de données de Montréal, les concepts qui y sont énoncés servent de cadre utile pour s’engager dans des discussions sur les licences de données.

Évolution des services financiers : modernisation des paiements et système bancaire ouvert

Au Canada, le secteur des services financiers continue d’être un important chef de file dans l’adoption de l’innovation et des nouvelles technologies. De nouvelles entreprises de technologie financière émergent sur le marché canadien à un rythme soutenu. Les nouvelles venues visent non seulement la désintermédiation des entreprises existantes, mais elles cherchent également à leur faire concurrence ou à créer des partenariats avec elles (souvent, les deux en même temps). À un échelon macroéconomique, outre l’adoption accrue de l’IA, l’évolution décrite ci-dessous se poursuit. Avec le temps, elle contribuera de manière importante à la transformation du secteur des services financiers au Canada.

Modernisation des paiements

Paiements Canada continue de déployer des efforts pour moderniser le système de paiement canadien afin d’avoir la capacité de compenser et de régler rapidement, de façon sécurisée et souple, les paiements assortis de mégadonnées. Plus précisément :

  • Le 24 juin 2019, Paiements Canada a publié une étude de cas qui évaluent les avantages d’adopter la norme ISO 20022 (la norme internationale qui régit les messages de paiement). L’étude a permis de conclure que l’adoption de cette norme procure une meilleure compréhension de la gestion de l’encaisse et de la trésorerie, une réduction des interventions manuelles et une visibilité accrue de la chaîne de valeur. Tous ces avantages sont susceptibles d’améliorer la productivité et de réduire les coûts.
  • Le 9 octobre 2019, Paiements Canada a sollicité des commentaires sur les politiques de Lynx (le Cadre), qui guideront la rédaction des règlements administratifs concernant le nouveau système de paiements de grande valeur du Canada. Le Cadre établit les politiques concernant 1) l’accès au système; 2) la finalisation des paiements; 3) les frais de service.

Les institutions financières et les fournisseurs de solutions de paiements suivent attentivement l’évolution de la situation, puisqu’elle exigera que de nouveaux systèmes de paiements soient mis en œuvre à grande échelle.

Système bancaire ouvert

Le système bancaire ouvert fait référence à une initiative qui permettra aux clients de communiquer leurs données financières à des tiers en toute sécurité au moyen de plateformes numériques, dans le but de promouvoir l’innovation et l’accès accru à de nouveaux produits et services financiers.

En janvier 2019, le gouvernement a publié un document de consultation intitulé « Examen des mérites d’un système bancaire ouvert », dans le cadre de ses efforts pour réaliser un examen du bien-fondé d’un système bancaire ouvert. Plus tard en juin, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a publié son rapport intitulé « Un système bancaire ouvert, qu’est-ce que cela signifie? » (le Rapport), dans lequel il réclame « une action décisive de la part du gouvernement fédéral pour que soit adopté un cadre de système bancaire ouvert ». Le rapport contient de nombreuses recommandations destinées au gouvernement fédéral, notamment les suivantes :

  • Désigner l’Agence de la consommation en matière financière du Canada comme organisme intérimaire de surveillance des activités liées à la capture de données d’écran et à un système bancaire ouvert;
  • Fournir du financement immédiat aux groupes de protection du consommateur pour les aider à mener des recherches, et à en publier les résultats, sur les avantages et les risques entourant la capture de données d’écran et le système bancaire ouvert;
  • Faciliter l’élaboration d’un système bancaire ouvert fondé sur des principes et dirigé par l’industrie.

Malgré l’appel à l’action contenu dans le rapport, les progrès ont été plus lents que prévu. Des activités de réglementation sont déployées à l’échelle mondiale et, plus précisément, l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Australie réalisent des progrès importants. Toutefois, il reste à voir si le Canada emboîtera le pas en 2020.

Technologie immobilière et technologie urbaine

Il y a des années que l’on s’entend pour dire que les secteurs traditionnels, au-delà du secteur de commerce de détail, ont la possibilité de faire preuve d’innovation. En 2019, cette possibilité s’est concrétisée. Les clients commencent à se tourner vers des technologies comme l’informatique en nuage et l’automatisation des processus par la robotique pour améliorer considérablement les processus et l’efficacité opérationnels. Ils adoptent également des stratégies numériques pour tirer parti des données qu’ils ne considéraient pas auparavant comme un actif de valeur.

Possiblement stimulée par des initiatives comme celle de Sidewalk Labs, la transformation des secteurs de l’immobilier et des infrastructures semble également être entamée. Les secteurs d’activités qui n’ont pas misé sur les innovations technologiques par le passé auront de la difficulté à maximiser la valeur des données ou de la propriété intellectuelle en tant qu’actif. Les acteurs du marché qui réussiront à réaliser cette transformation auront, à notre avis, un avantage concurrentiel important sur ceux qui n’y parviendront pas.

Le ralentissement des chaînes de blocs et de la technologie du grand livre distribué

Le ralentissement du rythme de l’activité commerciale dans le secteur des chaînes de blocs est attribuable, en partie, à l’arrivée à maturité du cycle de l’innovation et à l’absence de cas d’utilisation viables et rentables. Les préoccupations persistantes en matière de confidentialité et de sécurité des données ont également contribué au ralentissement.

Les inquiétudes concernant la protection de la vie privée et la sécurité demeurent un thème récurrent à l’égard des applications d’entreprise liées aux chaînes de blocs et à la technologie du grand livre distribué (TGLD). À titre d’exemple, en août, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a publié une déclaration commune avec les représentants de la collectivité mondiale des autorités chargées de la protection des données et de l’application des lois en matière de protection des renseignements personnels de cinq autres pays (l’Albanie, l’Australie, le Burkina Faso, le Royaume-Uni et les États-Unis) concernant le réseau Libra (c’est-à-dire la monnaie numérique fondée sur la chaîne de blocs autorisée, proposée par Facebook Inc., dont le lancement est prévu au cours de la prochaine année). La déclaration souligne la nécessité d’incorporer une bonne gouvernance de la protection de la vie privée et des principes de protection de la vie privée dès la conception, puisqu’ils sont « des facteurs clés de l’innovation et de la protection des données ».

Pour répondre à ces préoccupations, nous avons été témoins du déploiement par certaines organisations de chaînes de blocs privées, notamment Hyperledger Fabric, au sein du réseau privé sécurisé de l’organisation, auquel le public n’a pas accès. Ces chaînes de blocs privées permettent souvent à l’organisation de mettre en place des mesures de contrôle d’accès pour atténuer davantage les risques associés à la sécurité et la protection des données personnelles ou sensibles. Dans les cas où des chaînes de blocs publiques sont utilisées, comme la chaîne de blocs Ethereum, les organisations se disent de plus en plus préoccupées par le stockage de données personnelles ou sensibles directement dans la chaîne de blocs. Lorsqu’il est nécessaire d’enregistrer des données, on stocke souvent un pointeur ou un code de hachage dans la chaîne de blocs qui indique que les données sont enregistrées ailleurs que dans la chaîne de blocs ou la TGLD. Les données sont sécurisées autrement et elles ne sont pas accessibles au public.

Un certain nombre de nouvelles normes visant à faciliter le foisonnement et l’adoption de la technologie de chaîne de blocs ont été publiées en 2019. Plus particulièrement, en septembre, le comité ISO/TC307, approuvé par l’Organisation internationale de normalisation pour établir des normes liées aux chaînes de blocs et à la TGLD, a publié la norme ISO/TR 23455:2019. Cette norme porte sur les aspects techniques des contrats intelligents. Elle décrit les contrats intelligents et leur fonctionnement, y compris diverses méthodes techniques pour l’établissement d’une interaction entre de multiples contrats intelligents. Nous sommes d’avis que ce type de norme constitue un cadre utile pour engager des discussions sur les contrats intelligents.

Conclusion

À l’aube de 2020, nous ne prévoyons pas de ralentissement du rythme de l’innovation numérique, de la croissance de l’IA ou des mesures de transformation. Nous nous attendons à ce que les contextes réglementaire et technologique continuent d’évoluer en 2020, et qu’ils soient accompagnés d’un plus grand nombre de transformations et de perturbations dans les principaux secteurs d’activités. Les avocats responsables de conseiller des clients sur le sujet vivent une période propice à l’innovation et à la création de nouvelles normes du marché, afin d’être en phase avec l’évolution des entreprises de leurs clients.