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Pas d’issue : Force majeure et répartition du risque économique pendant la COVID-19

Auteur(s) : Jacqueline Code, James R. Brown, Adam Margeson

Le 11 janvier 2023

Lorsque la COVID-19 a été déclarée pandémie mondiale et que diverses restrictions gouvernementales ont été imposées, des parties à des accords commerciaux et des parties contractantes se sont immédiatement demandé si la pandémie offrirait un mécanisme de sortie des accords qui n’avaient pas encore été conclus ou des accords contractuels en vigueur à ce moment-là.

Comme nous l’avons écrit en 2020, les parties contractantes ont commencé à examiner les dispositions de force majeure de leurs accords pour déterminer si les obligations contractuelles pertinentes devaient être exécutées pendant la pandémie. Des parties à un accord ont examiné leurs clauses relatives aux « incidences défavorables importantes » (IDI) afin de déterminer si les effets de la pandémie sur les activités d’une cible pouvaient permettre à cette partie de se retirer d’une opération négociée. Comme nous l’avons mentionné l’an dernier, en 2021, les tribunaux canadiens ont été saisis des premiers litiges concernant des clauses d’IDI et les clause d’exploitation provisoires, qui ont été déclenchées dans trois opérations importantes. La décision Cineplex citée a été rendue peu de temps après, renforçant les difficultés relatives au retrait d’une opération. Comme nous l’avons écrit dans notre bulletin d’actualités Osler et dans notre article sur les fusions et acquisitions, l’approche de la Cour en matière de dommages-intérêts dans cette décision est particulièrement notable en regard de son traitement des synergies perdues.

Bien que nous disposions désormais d’une jurisprudence importante concernant les clauses d’IDI et d’autres moyens visant à mettre fin à des opérations pour cause de manquement aux obligations contractuelles, il est surprenant de constater que peu de causes concernant la COVID-19 et la force majeure ont fait l’objet d’une décision sur le fond. Toutefois, en 2022, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu sa décision (en anglais seulement) dans le litige opposant Nieuport Aviation Infrastructure Partners GP (Nieuport), l’exploitant de l’aérogare de l’aéroport Billy Bishop de Toronto, et Porter Airlines Inc. (Porter), la principale compagnie aérienne opérant à partir de Billy Bishop (Nieuport Aviation). Cette décision confirme que, même si l’interprétation d’une clause de force majeure dépend de son libellé particulier, le fait qu’un contrat devienne économiquement beaucoup plus onéreux à exécuter ne peut pas servir de fondement pour invoquer la force majeure et refuser d’exécuter le contrat. Cette décision ajoute un précédent important à un domaine du droit des contrats pour lequel peu de décisions judiciaires existent.

Confirmation d’une application restrictive de la force majeure

La doctrine de la force majeure

Les clauses de force majeure sont des dispositions contractuelles extrêmement courantes. Lorsqu’elles s’appliquent, elles ont pour effet de dispenser une partie à un accord d’exécuter ses obligations contractuelles lorsque certaines circonstances précises et indépendantes de la volonté des parties (par exemple, cas de force majeure, guerre, insurrection, grèves) ont empêché une partie de remplir ses obligations aux termes du contrat.

Bien que le libellé précis des clauses de force majeure diffère d’un contrat à l’autre et doive être évalué au cas par cas, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Co. qu’une « clause de force majeure qui dispense une partie de l’exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, sur lequel les parties n’ont aucun contrôle et qui rend l’exécution du contrat impossible, s’applique généralement lorsque cet événement est inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable ».

Pour déterminer si une clause de force majeure est déclenchée, le tribunal examine d’abord généralement si le libellé de la clause de force majeure vise l’événement déclencheur et, ensuite, si l’événement a empêché (ou parfois, entravé, restreint ou retardé) la partie qui souhaite faire usage de cette clause de remplir ses obligations aux termes du contrat.

Force majeure et COVID-19

Il n’est pas surprenant que la COVID-19 ait entraîné une recrudescence des litiges liés à la force majeure et que les parties cherchent à obtenir des conseils sur l’applicabilité de la doctrine dans les cas où la pandémie ou les restrictions gouvernementales connexes ont rendu l’exécution de leurs contrats plus difficile ou onéreuse.

Relativement peu de causes ont abouti à un jugement sur le fond. Toutefois, plusieurs décisions de ce type ont été rendues dans des affaires concernant des baux immobiliers dans lesquels un locataire a invoqué la force majeure pour se soustraire à ses obligations de paiement de loyer en raison de la pandémie de COVID-19. À quelques exceptions près, les tribunaux ont toujours rejeté ces arguments, estimant qu’ils n’étaient pas étayés par le libellé des baux en question. Les tribunaux invoquent également le principe général selon lequel les locataires doivent payer pour la possession continue de leur droit de tenure à bail, même s’ils ne peuvent pas exploiter leur entreprise dans les locaux loués. Les motifs de la plupart de ces décisions ne sont pas détaillés.

Par exemple, dans la décision Durham Sports Barn Inc. Bankruptcy Proposal (en anglais seulement), un magasin de détail ayant dû fermer ses portes en raison d’une réglementation gouvernementale a demandé une réduction de loyer. Le tribunal a rejeté cet argument au motif que si la clause de force majeure en question dispensait le propriétaire de l’obligation de fournir une jouissance paisible des locaux parce que les règlements gouvernementaux relatifs à la COVID-19 empêchaient l’entreprise de fonctionner, elle ne dispensait pas le locataire de son obligation de payer le loyer. Même si ces obligations sont manifestement liées, cela ne signifie pas que la clause de force majeure s’applique identiquement aux deux parties.

En revanche, la décision Windsor-Essex Catholic District School Board v. 231846 Ontario Limited (Windsor-Essex) (en anglais seulement) représente un exemple isolé d’une décision contraire. Dans cette affaire, une clause spécifique prévoyait une réduction de loyer pour le locataire si le propriétaire n’était pas en mesure de mettre le bien à sa disposition. Dans cette décision, la possibilité pour le propriétaire d’invoquer la force majeure afin de le dispenser de l’exécution de son obligation de fournir la jouissance des lieux a déclenché la disposition expresse relative à la réduction du prix du loyer.

La décision Nieuport Aviation

En octobre 2022, la Cour supérieure de l’Ontario a rendu sa décision dans la cause Nieuport Aviation (en anglais seulement). En raison de la pandémie, Porter a cessé ses activités pendant une période de 18 mois. Pendant cette période, Porter a cessé de payer ses droits d’aérogare à Nieuport. Cette décision comprend des motifs relativement exhaustifs sur le refus d’appliquer la doctrine de la force majeure afin de dispenser Porter de l’exécution de son obligation contractuelle. La décision de la Cour constitue une contribution potentiellement importante au droit en matière de force majeure et devrait fournir une orientation bienvenue aux parties contractantes à l’avenir.

Selon les dispositions de son contrat de licence avec Nieuport, Porter devait payer des droits mensuels pour avoir le privilège d’utiliser l’aérogare de l’aéroport pour ses activités d’aviation commerciale. Ses droits étaient fondés sur les créneaux quotidiens qui lui étaient attribués — c’est-à-dire réservés — par PortsToronto, l’exploitant de l’aéroport. Ses privilèges d’aérogare correspondaient donc aux droits qui lui étaient accordés de voler à destination et en provenance de l’aéroport. Ces droits étaient toujours réservés à Porter pendant l’interruption de ses activités aériennes. Porter a fait valoir que la COVID-19 et les règlements gouvernementaux subséquents touchant l’industrie du transport aérien constituaient des événements de force majeure qui avaient eu pour effet de l’empêcher de payer ses droits d’aérogare et de donner le préavis de 12 mois requis aux termes du contrat quant à son intention de réduire son attribution de créneaux et ses privilèges connexes d’aérogare, ou de restreindre sa capacité à le faire.

Les motifs de la Cour portent principalement sur l’argument de Porter selon lequel la clause de force majeure de son contrat de licence devrait la libérer de ses obligations de paiement des droits d’aérogare pendant sa période d’inactivité de 18 mois. Tout en rejetant l’ensemble de cet argument, la Cour a admis que la pandémie a entraîné une baisse extraordinaire et sans précédent du nombre de passagers et, par conséquent, une chute spectaculaire des revenus de Porter — des événements qui ont également affecté Nieuport. La Cour a également conclu, en fonction des éléments de preuve, que Porter avait pris la décision commerciale de cesser ses activités ; aucun règlement gouvernemental ne l’empêchait de continuer à effectuer des vols.

D’emblée, la Cour a confirmé que Porter avait le fardeau de démontrer qu’elle s’inscrivait exactement dans le cadre de la clause de force majeure pour obtenir sa protection, confirmant ainsi la jurisprudence antérieure à cet effet. La Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la pandémie ou la réponse du gouvernement à celle-ci a fait en sorte que Porter a été [Traduction] « incapable d’exécuter [ses obligations de paiement], ou qu’elle a eu pour effet d’en retarder ou restreindre l’exécution ».

La Cour a conclu que Porter n’avait pas effectivement démontré que la COVID-19 ou la réponse du gouvernement à la COVID-19 l’avait empêchée d’exécuter ses obligations ou avait eu pour effet d’en restreindre l’exécution. La Cour a renvoyé à la décision Atlantic Paper et s’est fondée sur un certain nombre de causes dans lesquelles les tribunaux ont précédemment conclu, aux termes de clauses libellées de manière semblable, qu’une partie ne peut pas invoquer la force majeure au seul motif qu’une obligation contractuelle est devenue économiquement plus onéreuse à exécuter, même de manière spectaculaire.

Porter a renvoyé à la décision de la Cour d’appel de l’Alberta rendue dans l’affaire Atcor Ltd. c. Continental Energy Marketing Ltd. (en anglais seulement). Dans cette affaire, la Cour a conclu que la clause de force majeure devait être déclenchée lorsque l’exécution des obligations en question était commercialement irréalisable ou déraisonnable. Toutefois, dans l’affaire Nieuport Aviation, la Cour a déclaré que cette décision ne permettait pas d’affirmer qu’une clause de force majeure peut être invoquée chaque fois qu’un événement indépendant de la volonté des parties rend l’exécution d’une obligation contractuelle, même une obligation de paiement, commercialement irréalisable ou déraisonnable. La Cour de l’Ontario a établi une distinction avec la décision Atcor en fonction des faits particuliers à l’espèce — à savoir, une obligation de fourniture qui était physiquement impossible à exécuter — et a rejeté l’argument de Porter. En tout état de cause, la Cour a souligné que la décision Atcor n’avait généralement pas été suivie dans d’autres causes ou qu’elle s’était limitée aux faits particuliers à l’espèce.

Porter a alors fait valoir sans succès que les conditions de son contrat de licence reflétaient une intention selon laquelle Porter ne paierait des droits que tant qu’elle serait en mesure d’exploiter et de générer des revenus de ses activités d’aviation commerciale à l’aéroport. La Cour a estimé que cette interprétation n’était pas soutenue par le libellé du contrat de licence. La Cour a plutôt conclu que le contrat imposait à Porter une obligation absolue de payer des droits d’aérogare qui n’était pas conditionnelle à la capacité de Porter de générer des revenus de son entreprise.

Quoi qu’il en soit, la Cour a conclu que Porter n’avait pas démontré que son manquement à son obligation de paiement avait été causé par un acte de force majeure. La Cour a également établi une distinction entre cette affaire et la décision rendue dans Windsor-Essex, puisqu’aucun ordre gouvernemental n’a exigé la fermeture de Billy Bishop ou l’arrêt des vols de Porter. Même si la réglementation gouvernementale a pu réduire la demande de transport aérien, cette situation n’a pas pour effet d’établir le lien de causalité direct requis pour déclencher la clause de force majeure. Le fait que Porter ait décidé de suspendre ses activités commerciales en raison de l’effet de la pandémie sur la demande de services aériens ne lui permettait pas d’invoquer la force majeure.

En conclusion, la Cour a jugé que Porter n’a pas démontré l’existence d’une restriction législative s’appliquant à sa capacité de payer ses droits. Aucune raison d’ordre matériel ne l’empêchait de le faire. Porter n’a pas non plus affirmé que sa situation financière était telle qu’elle ne pouvait pas payer ses droits. En fait, la preuve a démontré que Porter a payé d’autres créanciers pendant la suspension de ses services et que ses sociétés affiliées avaient entrepris d’importantes dépenses en capital pendant la période de la COVID-19. Quoi qu’il en soit, la Cour a déclaré que, même si Porter avait démontré qu’elle ne disposait pas des ressources financières nécessaires pour payer ses droits, cela n’aurait eu aucune incidence sur la conclusion de la Cour selon laquelle la clause de force majeure ne pouvait pas la libérer de ces obligations de paiement.

La Cour est parvenue à une conclusion similaire en ce qui concerne l’obligation contractuelle de Porter de donner un préavis de 12 mois de son intention de réduire les créneaux qui lui sont attribués et ses privilèges connexes d’aérogare. Porter a fait valoir que sa capacité à fournir un tel avis était limitée par la pandémie, puisqu’elle ne pouvait pas prévoir avec précision la demande en raison de la COVID-19. Une fois de plus, la Cour a conclu que la COVID-19 ne faisait que rendre cette obligation plus difficile, mais que Porter n’avait pas démontré qu’elle était incapable d’exécuter cette obligation, ou que son exécution en était retardée ou limitée.

Osler représentait Nieuport. Porter a indiqué qu’elle porterait la décision en appel.

La COVID-19 n’est pas un mécanisme de sortie automatique

Nous avons désormais accès à plusieurs décisions importantes statuant sur des litiges en matière de bris de contrat portant essentiellement sur des clauses d’IDI et des allégations de non-respect des clauses de période intermédiaire lorsque les cibles ont été touchées par la pandémie de COVID-19. Grâce à l’orientation sur l’application de la doctrine de force majeure donnée par la Cour dans la décision Nieuport Aviation, nous sommes maintenant en mesure de voir un modèle se développer. Malgré la pandémie, les tribunaux ne seront pas prompts à permettre à un acheteur de se désister de ses engagements en matière d’acquisition ou à une partie contractante de se défaire de ses obligations contractuelles en invoquant des clauses fréquemment utilisées qui, jusqu’à présent, avaient fait l’objet de peu de décisions judiciaires.

Les acheteurs et les parties contractantes devront garder à l’esprit la répartition des risques prévue dans leurs contrats, car les tribunaux ont clairement manifesté leur intention de faire respecter les engagements des parties et d’interpréter de manière restrictive les clauses de sauvegarde potentielles.