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Les défis, nouveaux ou anciens, de la rémunération des dirigeants

Auteur(s) : Andrew MacDougall, Lynne Lacoursière, Kelly O’Ferrall

Le 13 décembre 2021

L’année écoulée a été marquée par de nouveaux défis, les sociétés cherchant de plus en plus à intégrer les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la prise de décisions sur la rémunération. Les vieux débats sur le vote consultatif sur la rémunération et la récupération de la rémunération incitative ont repris de la vigueur. L’année écoulée a également été marquée par de bonnes nouvelles sous la forme d’un répit pour les employeurs. La Cour d’appel de l’Ontario a judicieusement infirmé une décision du tribunal d’instance inférieur qui avait refusé l’application d’une clause exigeant l’annulation des attributions d’actions dans le cas d’une cessation d’emploi sans cause juste et suffisante.

Nous résumons ci-dessous certains des événements de l’année les plus marquants en matière de rémunération des dirigeants.

Lier la rémunération aux facteurs ESG

L’intérêt croissant porté aux incidences environnementales et sociales des activités de l’entreprise s’accompagne d’un appel de plus en plus pressant à lier explicitement la rémunération des dirigeants à l’atteinte d’objectifs ESG. L’objectif consiste à offrir à la direction un incitatif concret pour encourager les améliorations dans ces domaines.

Il est depuis longtemps pratique courante pour les sociétés de certains secteurs comme les mines, les services d’utilité publique et l’énergie d’intégrer à la fiche de rendement personnel certains indicateurs de rendement clés touchant l’environnement ou la santé et la sécurité dans le cadre des évaluations aux fins du paiement d’une rémunération incitative à court terme. Ces indicateurs peuvent également être inclus dans la grille d’évaluation du rendement de la société.

Cependant, les sociétés déploient maintenant davantage d’efforts pour définir explicitement ces indicateurs de rendement dans les documents d’information publics sur leurs pratiques en matière de rémunération incitative à court terme. Les indicateurs de rendement sont également élargis de façon à inclure des paramètres liés à la responsabilité sociale au sens plus large. Toutefois, le paiement de la rémunération incitative à long terme est rarement lié à des mesures ESG, en partie en raison de la difficulté d’établir des buts ESG à plus long terme et de mesurer leur atteinte.

Vote consultatif sur la rémunération

Les décisions prises en matière de rémunération des dirigeants en réponse aux répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les activités commerciales et le cours des actions ont été scrutées à la loupe pendant la saison de sollicitation des procurations 2021. Et les actionnaires ne se sont pas fait prier pour faire connaître leur position par voie de vote consultatif sur la rémunération, le cas échéant.

Au sein des 223 sociétés inscrites à la cote de la TSX ayant tenu en 2021 un vote consultatif sur la rémunération que nous avons recensées, le taux d’appui moyen était de 91,5 %. Toutefois, les investisseurs ont voté contre la résolution des émetteurs sur la rémunération mise au vote au sein d’un nombre record de six sociétés : Chemtrade Logistics Income Fund (approbation à 40,1 %), Financière CI (38,1 %), Gildan Activewear Inc. (40,9 %), Precision Drilling Corporation (42,4 %), Fiducie de placement immobilier RioCan (24,1 %) et Vermilion Energy Inc. (41,8 %). Au nombre des problèmes soulevés par les conseillers en procuration figuraient le décalage par rapport à la rémunération au rendement, le montant excessif des primes de maintien en poste et des octrois non récurrents, le montant élevé des primes discrétionnaires versées au chef de la direction et la communication insuffisante de l’information portant sur les indemnités de départ reçues par un ancien dirigeant. Le mécontentement des actionnaires à l’égard des décisions sur la rémunération a atteint un sommet cette année. Outre un nombre record de votes ayant eu une issue négative, 10 émetteurs ont reçu un taux d’appui des actionnaires lors du vote consultatif sur la rémunération compris entre 50 % et 75 %.

Le vote consultatif sur la rémunération demeure une pratique volontaire au Canada. La situation pourrait cependant changer. Aux termes de modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) qui ne sont pas encore entrées en vigueur, les sociétés visées par le règlement sont tenues de divulguer leur approche de la rémunération des administrateurs et des membres de la haute direction de la société. Ces modifications législatives obligent également les émetteurs à tenir chaque année un vote non contraignant des actionnaires sur l’approche divulguée. Le Rapport final de janvier 2021 du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers, qui avait été mis sur pied pour examiner et recommander des mesures susceptibles d’améliorer le fonctionnement des marchés des capitaux de l’Ontario, comprend entre autres la recommandation d’imposer à tous les émetteurs cotés à la bourse de tenir un vote consultatif annuel sur leurs pratiques en matière de rémunération des cadres supérieurs.

Récupération de la rémunération

Les dispositions relatives à la récupération de la rémunération ont été adoptées pour la première fois aux États-Unis dans la loi Sarbanes-Oxley Act de 2002. En vertu de cette loi, si un émetteur est tenu de préparer un retraitement de la comptabilité en conséquence d’une inconduite, la Securities and Exchange Commission des États-Unis (SEC) est en droit d’obliger le chef de la direction et le chef des finances à rembourser à la société cotée en bourse la rémunération incitative et les bénéfices de la vente d’actions reçus au cours des 12 mois suivant la publication des états financiers devant être redressés. En 2015, la SEC a proposé des règles exigeant des marchés boursiers qu’ils intègrent aux exigences relatives à l’inscription l’obligation de recouvrer la rémunération incitative excédentaire reçue au cours de la période de trois ans précédant un retraitement des états financiers. La règle proposée prévoyait également d’obliger tout émetteur coté en bourse à divulguer sa politique de recouvrement et de fournir de l’information sur sa récupération de la rémunération incitative excédentaire. Les travaux sur la règle proposée étaient dans l’impasse jusqu’au vote de la SEC, en octobre dernier, en vue de republier sa proposition antérieure pour une nouvelle période de consultation de 30 jours. 

Les règles canadiennes applicables à la divulgation de la rémunération des dirigeants prévoient l’obligation de produire une déclaration résumée de tout arrangement de récupération touchant les hauts dirigeants visés. Toutefois, ces règles n’imposent pas l’adoption de politiques de récupération.

Malgré l’absence d’obligations de récupération, nombreuses sont les sociétés qui ont choisi d’adopter leurs propres arrangements en matière de récupération de la rémunération incitative. Ces arrangements continuent d’évoluer. Les grandes entreprises ont adopté des politiques aux termes desquelles elles se réservent le droit de récupérer la rémunération incitative non seulement dans le cas d’un retraitement des états financiers, mais aussi pour des raisons d’inconduite seulement. De plus en plus, les grands émetteurs tiennent compte de ces arrangements dans leurs régimes de rémunération incitative à long terme et leurs contrats de travail.

En vertu de modifications à la LCSA qui ne sont pas encore entrées en vigueur, les administrateurs d’une société visée par règlement devront présenter aux actionnaires, à chaque assemblée annuelle, les renseignements prescrits concernant le recouvrement des primes d’encouragement ou d’autres avantages payés aux administrateurs et aux membres de la haute direction. La forme finale du règlement d’application de ces modifications n’est pas encore disponible, mais selon toute vraisemblance, les exigences s’appliqueront uniquement aux sociétés cotées en bourse.

Il reste à voir si les modifications apportées à la LCSA et le regain d’intérêt de la SEC pour sa proposition de règle sur le recouvrement conduiront à l’instauration de règles contraignantes au Canada ou à des changements à la gamme de pratiques en vigueur aujourd’hui.

Une victoire pour les employeurs

L’an dernier, nous avions indiqué que dans l’affaire Battiston v. Microsoft Canada Inc., la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait conclu qu’une clause de licenciement exigeant l’annulation des primes de rendement à long terme non acquises lors de la cessation d’emploi sans motif était inapplicable. La Cour en était venue à cette conclusion après avoir estimé que cette clause était [traduction] « sévère et oppressante » et que l’employé n’avait pas reçu avis de celle-ci. 

Toutefois, en appel, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le juge de première instance avait erré en concluant à l’absence d’avis. La Cour a souligné que l’employé avait décidé sciemment de ne pas lire l’entente en matière d’attribution d’actions tout en confirmant expressément pendant 16 ans qu’il l’avait lue. En faisant à son employeur une fausse déclaration quant à son consentement à l’entente, l’employé s’est placé dans une position plus avantageuse que l’employé qui n’avait pas fait de fausse déclaration, tirant ainsi parti de son propre comportement fautif. Osler représentait Microsoft Canada Inc. en appel.

Accroissement de la complexité

Les investisseurs et les autorités de réglementation continuent de scruter à la loupe les déterminations et les résultats en matière de rémunération, et ont tous montré qu’ils étaient prêts à intervenir dès qu’apparaît la perception d’un décalage entre les résultats en matière de rémunération et la création de valeur du point de vue des investisseurs. Ce décalage continuera d’accroître la complexité de la prise de décisions par les administrateurs et pourrait avoir une incidence considérable sur la divulgation de la rémunération dans le futur.