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Le gouvernement du Québec propose de resserrer la loi 101

Auteur(s) : Alexandre Fallon, Sven Poysa, Julien Ranger

Le 13 décembre 2021

Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a présenté la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi ») qui propose les modifications les plus importantes à la Charte de la langue française (la « Charte ») depuis son adoption en 1977.

Un certain nombre de ces modifications, si elles sont adoptées, entraîneront des exigences nouvelles et plus lourdes et présenteront des risques juridiques importants et nouveaux pour ceux qui exercent des activités au Québec. Nous relevons ici les principaux points qui pourraient s’appliquer et dont il faudra tenir compte si la Loi entre en vigueur. Plusieurs de ces modifications clés peuvent être particulièrement marquantes à la lumière du nouveau droit d’action privé créé par la Loi, qui pourrait générer une exposition majeure pour ceux qui ne se conforment pas à la Loi.

Nouveau droit pour les salariés d’exercer leurs activités en français

La Loi propose de modifier l’obligation existante selon laquelle les communications écrites avec les salariés doivent être en français et prévoit un droit plus large d’« exercer [des] activités en français ». Il s’agit notamment de la publication des offres d’emploi, des contrats de travail, des communications écrites, des formulaires de demande d’emploi, des documents ayant trait aux conditions de travail et des documents de formation. Les offres d’emploi seront soumises à une nouvelle obligation de publication simultanée d’une version en langue française « par des moyens de transmission de même nature et atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions gardées » à la version en langue anglaise ou autre.

Critères plus stricts en ce qui concerne l’exigence de la connaissance de l’anglais comme condition d’emploi

La Loi propose d’introduire des exigences plus contraignantes auxquelles un employeur doit satisfaire avant d’être autorisé à faire de la connaissance de l’anglais une condition d’emploi. Aux termes de la Loi, l’employeur serait tenu de démontrer ce qui suit :

  • il a évalué les besoins linguistiques réels liés aux tâches qui doivent être accomplies ;
  • d’autres employés qui sont déjà tenus d’avoir une bonne connaissance de l’anglais ne seraient pas en mesure d’effectuer les tâches liées au poste qui exigent la connaissance de l’anglais ;
  • les tâches pour lesquelles une bonne connaissance de l’anglais est requise ont été regroupées le plus possible dans certains postes de manière à limiter le plus possible le nombre de postes exigeant cette connaissance.

Communications destinées aux clients

La Loi introduit une nouvelle obligation pour les entreprises d’« informer et […] servir » les clients en français, qu’ils soient ou non des consommateurs. Bien que les clients puissent choisir d’être servis dans une autre langue, cette démarche doit être initiée par le client et dans certaines situations, notamment en ce qui concerne les contrats, des documents français doivent être présentés aux clients avant qu’ils puissent choisir de procéder dans une autre langue.

Contrats types

La Charte prescrit déjà l’obligation d’établir les contrats types en français, à moins que les parties ne manifestent expressément qu’elles souhaitent que ces contrats soient rédigés dans une autre langue. Il est d’usage que de nombreux contrats commerciaux types comprennent une clause confirmant la volonté expresse des parties que le contrat soit rédigé en anglais, plutôt que d’élaborer une version française des contrats types. Aux termes de la Loi qui exigerait qu’une entreprise présente d’abord le contrat type en français, cette pratique serait freinée. Ce n’est que si le client demande une version anglaise qu’elle pourrait alors être accessible. De plus, l’introduction du droit privé d’action rendrait inopposable la version anglaise d’un contrat type conclu en contravention de ces nouvelles exigences et exposerait l’entreprise à des dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts punitifs.

Utilisation de marques de commerce et affichage dans une autre langue que le français

La Charte permet actuellement l’utilisation de marques de commerce établies dans une autre langue que le français pourvu que ces marques aient été reconnues aux termes de la Loi sur les marques de commerce fédéraleet qu’aucune version française de la marque n’ait été déposée. La Loi limiterait, d’une certaine manière, la portée de cette exemption en précisant que la marque de commerce établie dans une autre langue que le français ne peut être utilisée dans l’affichage et la publicité commerciale que si elle a été officiellement déposée (c.-à-d. qu’elle n’a pas seulement été reconnue) aux termes de la Loi sur les marques de commerce fédérale.

En ce qui concerne l’affichage à l’extérieur des locaux commerciaux, le texte français accompagnant une marque établie dans une autre langue que le français continuera à être obligatoire, mais devra désormais figurer « de façon nettement prédominante » par rapport à la marque. Dans le cadre de la Charte, cela se définit essentiellement par l’obligation d’utiliser un texte en français dont la taille est deux fois supérieure à celle du texte dans une autre langue que le français.

Nouveau pouvoir de rendre des ordonnances pour l’OQLF

La Loi conférerait à l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF ») le droit de rendre des ordonnances ainsi que celui de demander directement l’exécution de ces ordonnances devant la Cour supérieure du Québec. En outre, bien que la Charte prévoie actuellement le recours à l’injonction en matière de publicité, la Loi élargirait la possibilité de recourir aux injonctions à l’égard de la plupart des violations de la Charte, y compris en ce qui concerne le conditionnement d’un produit et les communications destinées aux clients.

Enfin, en cas de contravention répétée à la Charte, la Loi propose d’accorder à l’OQLF la possibilité de demander au nouveau ministre de la Langue française de suspendre ou de révoquer tout permis ou autorisation délivré par le gouvernement à une entreprise.

Droits d’action privés

Actuellement, les recours d’un particulier en cas de violation de la Charte se limitent à des plaintes auprès de l’OQLF. Un salarié a le droit de porter certains cas de violation en milieu de travail devant un tribunal spécialisé en matière de normes du travail.

La Loi introduit un droit d’action privé, qui permet aux particuliers d’obtenir une injonction du fait de ne pas avoir été servis en français ou du fait qu’un employeur contrevient à leur droit de travailler en français. En vertu de ce nouveau droit d’action privé, un demandeur (qui peut être un particulier ou une entreprise) peut demander l’annulation de contrats types conclus en anglais, ou des dommages-intérêts, à son choix. Pareillement, un contrat type ou tout document non conforme à la Charte, dans sa version modifiée par la Loi, serait réputé non exécutoire par l’entreprise qui l’aurait conclu, mais pourrait toutefois être opposé à cette entreprise.

Enfin, la Loi inscrirait dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte des droits du Québec ») un nouveau « droit de vivre en français dans la mesure prévue par la Charte de la langue française ». Cette modification pourrait ouvrir la porte à des réclamations en vertu de la Charte des droits du Québec pour violation de la Charte. Ces réclamations, si elles sont prouvées, pourraient donner lieu à une injonction et à des dommages-intérêts, notamment des dommages-intérêts punitifs.

Si elle était adoptée, la Loi entraînerait certainement une vague de litiges privés portant sur les droits linguistiques, y compris des actions collectives.

Les consultations publiques concernant la Loi se sont achevées en octobre et la Loi sera probablement adoptée dans les mois à venir, étant donné que des élections sont prévues pour octobre 2022. Les entreprises devraient revoir leurs pratiques commerciales et d’emploi au Québec, non seulement pour se préparer aux nouvelles exigences, mais aussi pour déceler les lacunes en matière de conformité eu égard aux exigences existantes. Cela sera particulièrement important étant donné que les nouveaux droits d’action privés augmentent sensiblement les risques associés à la non-conformité.