Passer au contenu

Le Canada propose d’importantes modifications fiscales qui s’alignent sur les recommandations relatives au plan d’action BEPS de l’OCDE

Auteur(s) : Patrick Marley, Kim Maguire, Ilana Ludwin

Le 11 janvier 2023

En 2022, le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi visant à adopter un grand nombre des recommandations formulées dans le plan d’action BEPS de l’OCDE, notamment celles relatives à la déductibilité des intérêts, aux mesures anti-hybrides et à la divulgation obligatoire. Ces propositions entre autres auront une incidence sur un large éventail de questions fiscales, tant nationales qu’internationales. Nombre des propositions s’appliqueront rétroactivement à la date de l’annonce. Il est donc important pour les contribuables de suivre l’évolution de l’avant-projet de loi ainsi que les amendements dont il fera l’objet afin de planifier et d’assurer leur conformité.

RDEIF : De nouvelles limites proposées en matière de déductibilité des intérêts

Le 4 février 2022, le gouvernement a publié un avant-projet de loi créant une nouvelle limite à la déductibilité des intérêts fondée sur l’action 4 du plan d’action BEPS de l’OCDE, suivi d’un projet révisé le 3 novembre 2022. Les nouvelles règles sont ouvertes aux commentaires jusqu’au 6 janvier 2023 et leur entrée en vigueur est proposée pour les années d’imposition commençant le ou après le 1er octobre 2023.

Les règles proposées en matière de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement (RDEIF) limiteront la déduction de certaines dépenses – généralement des intérêts et d’autres frais de financement – que le gouvernement considère comme excessives. Les règles RDEIF empêchent la déductibilité de dépenses qui dépassent 30 % du « revenu imposable rajusté », qui correspond approximativement au bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) du contribuable, calculé selon les règles fiscales (plutôt que les règles comptables). Pour les années d’imposition commençant en 2023, la limite est fixée à 40 %, au lieu de 30 %, à titre de mesure transitoire. En outre, certains groupes d’entreprises peuvent choisir d’utiliser un « ratio de groupe » plus élevé plutôt que la limite de 30 % dans certaines circonstances. Les règles relatives au ratio de groupe visent généralement à offrir un allègement lorsqu’un groupe a un niveau élevé de dettes envers des tiers.

Les contribuables peuvent, dans certaines circonstances, reporter effectivement en avant ou en arrière des dépenses dont la déduction a été refusée dans une autre année, reporter la capacité de déduction non utilisée et transférer la capacité non utilisée à certains autres membres du groupe.

Certains contribuables sont exemptés des règles RDEIF. C’est notamment le cas des contribuables qui font partie d’un groupe dont le capital imposable employé au Canada est inférieur à 50 millions de dollars ou dont les frais d’intérêt et de financement nets ne dépassent pas un million de dollars. Sont également exemptés les groupes d’entreprises qui exercent la quasi-totalité de leurs activités au Canada et qui n’ont pas d’importants actionnaires ou de filiales non résidents, ni de paiements importants à des investisseurs indifférents relativement à l’impôt qui ont un lien de dépendance (tels que des non-résidents et des contribuables exonérés d’impôt). Les règles RDEIF prévoient également une exemption pour les frais d’intérêt et de financement engagés dans des projets d’infrastructure types dans le cadre de partenariats public-privé (PPP) canadiens. En outre, les règles visent à autoriser les accords de consolidation de pertes couramment utilisés entre les membres de groupes liés et affiliés.

La nouvelle limite s’appliquera après l’application d’autres règles pouvant limiter la déductibilité. Notamment, les règles existantes relatives à la capitalisation restreinte continueront de s’appliquer. Ces règles limitent généralement la déductibilité des intérêts sur les montants dus à certains actionnaires non résidents sur la base d’un ratio dettes sur capitaux propres de 1,5 pour 1. En outre, des restrictions générales pouvant s’appliquer en vertu des règles sur les prix de transfert demeurent en vigueur. Les règles RDEIF prévoient également des règles particulières pour comptabiliser les frais d’intérêt et de financement capitalisés dans la fraction non amortie du coût en capital et les comptes de frais de ressources.

Les « entités du groupe d’institutions financières » sont assujetties à des règles particulières à l’égard du transfert de capacité excédentaire. Ces entités comprennent les institutions financières, telles que les banques et les compagnies d’assurance, qui fournissent des services financiers réglementés dans le cadre de leurs activités courantes. Elles comprennent également d’autres entités dont la quasi-totalité des activités soutient d’autres entités du groupe d’institutions financières, comme les services administratifs. Les entités du groupe d’institutions financières peuvent uniquement transférer leur capacité excédentaire à d’autres entités au sein du même groupe d’institutions financières.

Les mémoires déposés auprès du ministère fédéral des Finances en réponse à l’avant-projet de loi initial ont fait état de nombreuses questions importantes liées au projet, notamment des règles anti-évitement trop vastes et d’autres restrictions excessives. Bon nombre de ces questions ont été abordées dans le projet de loi amendé publié le 3 novembre 2022, mais d’autres questions sont susceptibles d’être soulevées dans le cadre du processus de consultation actuel.

Une fois en vigueur, les règles RDEIF détaillées et complexes exigeront des contribuables une attention particulière et des ressources importantes pour s’assurer qu’ils s’y conforment.

Règles anti-hybrides

Le ministère des Finances a publié le 29 avril 2022 le premier de deux ensembles d’avant-projets de loi mettant en œuvre de nouvelles règles anti-hybrides. Cet avant-projet de loi est conçu pour mettre en œuvre les recommandations des deux premiers chapitres du rapport final sur l’action 2 du plan d’action BEPS de l’OCDE. Une période de consultation publique s’est déroulée jusqu’au 30 juin 2022. La date proposée pour l’entrée en vigueur des règles proposées était le 1er juillet 2022, soit le lendemain de la clôture de la période de consultation. Les règles anti-hybrides sont donc déjà présumées en vigueur pour tous les paiements pertinents effectués le ou après le 1er juillet 2022, y compris les paiements effectués en vertu d’accords préexistants.

Les règles visent trois types d’arrangements : les arrangements d’instruments financiers hybrides, qui concernent directement des instruments financiers, les arrangements de transfert hybrides, qui concernent le transfert d’un instrument financier, et les arrangements de paiement de substitution, qui concernent des paiements liés à d’autres paiements ou montants aux termes d’un instrument financier ayant été transféré.

Les arrangements qui entrent dans l’une de ces trois catégories et qui sont conclus entre des parties ayant un lien de dépendance et les « arrangements structurés » dans lesquels l’avantage économique de l’asymétrie est reflété dans le prix relèvent des règles anti-hybrides.

Si elles sont appliquées, ces règles peuvent avoir de multiples conséquences. Elles peuvent avoir pour effet de refuser une déduction, d’exiger l’inclusion d’un revenu au Canada ou de refuser une déduction pour dividendes reçus, et dans chaque cas jusqu’à concurrence de tout « montant d’asymétrie hybride ». L’asymétrie hybride est généralement constituée du montant de toute asymétrie de la déduction ou la non-inclusion découlant de l’arrangement pertinent.

L’avant-projet de loi s’applique également à certaines structures qui ne comportent aucun caractère hybride. Par exemple, les règles s’appliquent généralement aux prêts sans intérêt accordés par une société canadienne à une filiale luxembourgeoise. L’avant-projet de loi est complexe et peut avoir des conséquences inattendues pour les contribuables. Il est important que les contribuables passent les règles en revue attentivement.

Un deuxième ensemble de législation portant sur les autres scénarios d’asymétrie hybride et les arrangements hybrides inversés couverts par l’action 2 du plan d’action BEPS de l’OCDE devrait être publié sous peu. Nous ne nous attendons pas à ce que ces règles s’appliquent avant 2023.

Des renseignements supplémentaires figurent dans notre bulletin d’actualités Osler du 4 mai 2022.

Règles de divulgation obligatoire

Le 4 février 2022, le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi prévoyant des changements radicaux aux règles canadiennes applicables à la divulgation d’opérations à des fins fiscales. Le gouvernement a par la suite proposé des révisions en août 2022, lesquelles reflétaient certains des commentaires reçus au cours de la période de consultation sur la première version. Les règles de divulgation obligatoire élargissent les règles existantes relatives aux « opérations à déclarer » et introduisent de nouvelles règles applicables aux « opérations à signaler » et aux « traitements fiscaux incertains à déclarer ». Les règles s’appliqueront aux opérations à déclarer et aux opérations à signaler conclues après la sanction royale du projet de loi de mise en vigueur et aux traitements fiscaux incertains à déclarer pour les années d’imposition commençant en 2023.

Les règles relatives aux opérations à déclarer s’appliquent actuellement aux « opérations d’évitement » au sens de la règle générale anti-évitement (RGAE) si deux des trois « marqueurs » sont présents. Ces marqueurs sont les suivants : 1) certains honoraires conditionnels sont versés au promoteur/conseiller fiscal, 2) une clause de confidentialité est accordée au promoteur/conseiller fiscal et 3) une protection contractuelle est accordée au contribuable et à certaines autres parties énumérées.

Les modifications proposées élargiraient ces règles en modifiant le sens de l’expression « opération d’évitement » pour exiger que seulement l’un des principaux objectifs de l’opération ou de la série d’opérations soit d’obtenir l’avantage fiscal. En outre, un seul des trois marqueurs doit être présent. De manière plus utile, les modifications limiteraient le troisième marqueur en excluant certains types d’assurance offerts dans le cadre d’opérations commerciales normales.

Les nouvelles règles relatives aux opérations à signaler obligeront les contribuables à divulguer toute opération qui est essentiellement semblable aux opérations figurant sur une liste publiée par le ministre du Revenu national. Un exemple fourni par le gouvernement est celui de la « création de pertes sur opérations de chevauchement au moyen d’une société de personnes ». Un régime de notification similaire est déjà en vigueur au Québec.

Enfin, les règles applicables aux traitements fiscaux incertains à déclarer exigent que certains contribuables constitués en société déclarent à l’ARC tout traitement fiscal relatif à une opération ou à une série d’opérations qui donne lieu à une incertitude reflétée dans les états financiers audités de la société (ou de son groupe consolidé) pour l’année.

Les règles de divulgation obligatoire proposées ont donné lieu à de nombreux mémoires soulevant d’importantes questions relatives à l’avant-projet de loi. De l’information sur les commentaires d’Osler au sujet de l’avant-projet de loi prévoyant une obligation de déclarer les situations fiscales incertaines figure dans notre bulletin d’actualités Osler du 7 avril 2022.

Les deux piliers de la réforme fiscale internationale

Le Canada continue de travailler avec diverses organisations internationales sur des projets de réforme fiscale internationale, notamment le Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur le BEPS. Un accord commun concernant l’approche à deux piliers pour la réforme fiscale a été conclu en 2021, avec l’espoir à l’époque que l’approche convenue entrerait en vigueur en 2023. Le progrès réalisé relativement au premier pilier, qui offre aux territoires admissibles un nouveau droit d’imposer une partie des bénéfices résiduels de grandes sociétés multinationales, semble être au point mort. En particulier, le soutien requis pour le premier pilier de la part des États-Unis semble peu probable, notamment à la lumière du fait que la Chambre et le Sénat sont désormais divisés. Si le premier pilier n’entre pas en vigueur d’ici la fin de 2023, la taxe canadienne sur les services numériques sera perçue à compter de 2024, avec une date d’entrée en vigueur rétroactive au 1er janvier 2022.

De nombreux pays cherchent à adopter les règles du deuxième pilier pour qu’elles prennent effet en 2024. L’OCDE a publié des règles modèles pour le deuxième pilier, l’impôt minimum mondial proposé de 15 %, en décembre 2021, puis a rendu public des commentaires sur les règles modèles en mars 2022. Le Canada et de nombreux autres pays ont annoncé leur intention de mettre en œuvre le deuxième pilier, bien que le gouvernement fédéral canadien n’ait pas encore déposé de projet de loi à cet égard.

Les efforts de l’Union européenne pour aller de l’avant ont été retardés par la Hongrie, qui est d’avis que le deuxième pilier ne devrait être mis en œuvre que conjointement avec le premier pilier. Dans les faits, la position hongroise signifie que le deuxième pilier pourrait ne pas progresser au sein de l’UE en temps voulu, bien que certains membres de l’UE aient suggéré qu’ils pourraient procéder malgré l’absence d’unanimité.

Des renseignements supplémentaires concernant les règles modèles de l’OCDE pour un impôt minimum mondial figurent dans notre bulletin d’actualités Osler du 23 décembre 2021.

Consultation RGAE

Le gouvernement a ouvert le processus de consultation publique promis de longue date sur la RGAE, processus initialement proposé à l’automne 2020, et a publié un document de consultation connexe le 9 août 2022. Pour en savoir plus sur les changements proposés à la RGAE, veuillez consulter notre article portant sur les litiges en matière fiscale.

À l’horizon 2023 et au-delà

Alors que le Canada et le reste du monde cherchent à remodeler le régime de fiscalité internationale, les sociétés canadiennes et multinationales seront confrontées à de nombreux nouveaux défis (et à des possibilités en matière de planification). La portée et le large éventail des avant-projets de loi et des modifications proposées publiés à ce jour par le gouvernement fédéral, avec l’attente d’autres mesures législatives à venir, feront de 2023 une année chargée et incertaine pour les contribuables. Il sera essentiel de suivre de manière proactive les développements en matière de fiscalité, dont le volume et la complexité ne cessent de croître, et de demander conseil à ce sujet.

De plus amples renseignements sur les sujets abordés ci-dessus figurent dans notre bulletin d’actualités Osler du 7 février 2022 et notre bulletin d’actualités Osler du 12 août 2022. L’Info Budget fédéral 2022 d’Osler offre de l’information sur d’autres propositions et modifications qui ne sont pas abordées ici.