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Changements majeurs dans le droit et la politique sur la concurrence et les investissements étrangers au Canada

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma, Christopher Naudie, Chelsea Rubin, Reba Nauth, D’Arcy White

Le 11 janvier 2023

L’approche du Canada en matière de droit et de politique sur la concurrence et l’investissement étranger a subi d’importants changements en 2022.

En juin, les plus importantes modifications apportées à la Loi sur la concurrence depuis 2009 ont été adoptées. En novembre, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le ministre) a entrepris une révision complète de la Loi sur la concurrence par le biais d’un processus de consultation publique. La clôture du processus est prévue pour le début de 2023. En 2022, nous avons également assisté à un certain nombre de nouvelles situations dans les litiges en matière de concurrence, notamment plusieurs affaires de fusion totalement contestées, comme on en voit rarement. 

L’examen des investissements étrangers canadiens a également pris une place prépondérante au cours de l’année 2022, avec un accent particulier porté sur les investissements faits au Canada et pouvant être considérés comme potentiellement préjudiciables à la sécurité nationale du Canada. Au début 2022, le gouvernement a annoncé que des liens potentiels avec l’État russe fourniraient au ministre des motifs raisonnables de croire que des investissements étrangers pourraient nuire à la sécurité nationale du Canada. En août, le gouvernement a signalé qu’il surveillait de nouveau, en vertu du régime de sécurité nationale, les investissements pour lesquels aucune participation de contrôle n’est prévue, en mettant en place un régime de notification volontaire pour les investissements étrangers sans participation de contrôle. Par ailleurs, le gouvernement a prolongé le délai accordé au Cabinet pour entreprendre une révision au titre de la sécurité nationale lorsqu’aucune notification volontaire n’est faite. En octobre, le gouvernement a annoncé une politique décourageant les investissements dans le secteur des minéraux critiques du Canada par des entreprises étrangères appartenant à l’État ou influencées par l’État, et a ordonné la cession de trois investissements minoritaires dans le secteur.

De nouveaux changements dans le droit et la politique en matière de concurrence et d’investissements étrangers se profilent à l’horizon 2023.

Modifications apportées à la Loi sur la concurrence

Le gouvernement a promulgué d’importantes modifications à la Loi sur la concurrence en juin 2022, presque dix ans après la précédente série de réformes. La date d’entrée en vigueur de certaines de ces modifications a été reportée d’un an pour permettre aux entreprises de revoir leurs pratiques.

Les modifications entrées en vigueur en juin 2022 comprennent notamment des changements importants aux dispositions relatives aux abus de position dominante. Ces changements ont notamment élargi la portée des comportements susceptibles d’être visés, mis en œuvre une augmentation spectaculaire des sanctions et, pour la première fois, créé un droit d’action privé, permettant ainsi à des parties privées, avec l’autorisation du Tribunal de la concurrence, de déposer une demande pour violation des dispositions relatives aux abus de position dominante.

Malgré le nouveau droit d’action privé, les dommages-intérêts ne sont toujours pas disponibles pour un plaignant ; le recours se limite plutôt à une mesure injonctive ou à une sanction administrative pécuniaire (SAP). Ces modifications font considérablement augmenter les SAP potentielles disponibles pour les violations des dispositions relatives aux abus de position dominante (ainsi que certaines autres infractions à la Loi). Ces SAP peuvent maintenant atteindre une valeur équivalente à trois fois celle de l’avantage obtenu à la suite de la violation commise. Si cette valeur ne peut être raisonnablement définie, le montant peut atteindre 3 % des revenus bruts annuels à l’échelle mondiale.

Les modifications, qui doivent entrer en vigueur en juin 2023, comprennent un élargissement de la disposition pénale sur les complots à l’article 45, afin de couvrir les accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre employeurs non affiliés. Actuellement, ces dossiers ne peuvent être traités que dans le cadre d’un examen au civil. En outre, à compter du 23 juin 2023, l’amende prévue pour les infractions à l’article 45 sera augmentée, passant ainsi d’une amende maximale de 25 millions de dollars par chef d’accusation à une amende illimitée, à la discrétion du tribunal.

Le gouvernement a qualifié les modifications de juin 2022 comme étant une première étape d’un processus de consultation plus large. Le 17 novembre 2022, le ministre a officiellement annoncé le lancement d’une révision approfondie de la Loi sur la concurrence. L’étendue des réformes envisagées, comme elles sont décrites dans le document de consultation du gouvernement, est très vaste, ne négligeant aucun aspect. Ce processus de révision portera sur des sujets aussi vastes que les objectifs de la politique sur la concurrence, un élargissement des droits et pouvoirs du commissaire, des critères et des seuils nouveaux ou modifiés pour élargir la portée de ce qui est soumis à examen, notamment sur une base obligatoire, et un élargissement des recours à l’initiative privée, notamment la possibilité de demander des dommages-intérêts.

Bien que la réforme ne se limite pas à des secteurs industriels précis, l’amélioration ou le renforcement de la politique sur la concurrence sur des marchés de plus en plus numériques et axés sur les données est manifestement un objectif clé du processus. Nous prévoyons également que les recommandations concernant la réforme, publiées par le Bureau de la concurrence en février, figureront au premier plan de ce processus de consultation. Parmi les recommandations du Bureau, explicitement prises en compte dans le cadre du processus, figurent la suppression de l’exception relative aux gains en efficience pour les fusions et une surveillance accrue des fusions entraînant une concentration du marché.

Pour lancer le processus de réforme, le ministre invite les Canadiens à présenter des propositions écrites avant le 27 février 2023 au moyen d’un portail en ligne. Plusieurs tables rondes seront également organisées avec une variété de parties prenantes pour s’assurer que les divers points de vue sont entendus. Outre la date limite pour les propositions écrites du public, le délai prévu pour l’achèvement de la révision et de toute mesure éventuelle en vue d’une réforme législative reste incertain.

Évolution des litiges en matière de concurrence

Au cours des 35 années qui ont suivi la promulgation de la Loi sur la concurrence en 1985 jusqu’en 2020, le Tribunal de la concurrence a été saisi d’un total de six fusions contestées. Au cours de la seule année 2022, le Tribunal a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Commissaire de la concurrence) c. Parrish & Heimbecker, Limited (P&H)(en anglais seulement) ; une autre décision est en instance dans l’affaire Commissaire de la concurrence c. Secure Energy Services inc. et Tervita Corporation (Secure et Tervita), et au moment de la rédaction du présent document, il entend l’affaire Commissaire de la concurrence c. Rogers Communications inc. et Shaw Communications inc. (Rogers et Shaw), la plus importante fusion contestée de l’histoire de la Loi sur la concurrence.

P&H

La défense fondée sur les gains en efficience a été au cœur des récents litiges en matière de fusions contestés. Dans l’affaire P&H, le Tribunal a examiné la demande d’ordonnance de désinvestissement présentée par le commissaire à l’égard d’une acquisition complète de silos élévateurs à grains dans le centre du Canada. Bien que l’affaire ait été entendue en 2020, la décision n’a été rendue qu’en octobre 2022.

Cette affaire a été tranchée en se fondant sur le fait que le commissaire avait défini de manière incorrecte, à la fois le produit concerné et les marchés géographiques dans son évaluation des effets de l’opération sur la concurrence. Le Tribunal ayant conclu que le commissaire n’avait pas démontré que l’acquisition avait enfreint l’article 92 de la Loi sur la concurrence, il n’était pas nécessaire d’examiner les réclamations de P&H relatives aux gains en efficience.

Néanmoins, compte tenu des observations détaillées présentées par les parties, le Tribunal a pris en considération l’application de la défense fondée sur les gains en efficience dans une remarque incidente. Le Tribunal a estimé que P&H n’avait pas prouvé que l’acquisition soit susceptible d’entraîner des gains en efficience pouvant être pris en compte. En conséquence, le Tribunal aurait estimé que la société P&H ne s’était pas acquittée du fardeau lui incombant de démontrer, selon toute probabilité, que les gains en efficience qu’elle réclamait seraient supérieurs aux effets anticoncurrentiels de toute diminution de la concurrence découlant de l’opération, et que ces effets seraient compensés.

Secure et Tervita

En juin 2022, le Tribunal a été saisi de la demande du commissaire contestant l’acquisition complète de Tervita par Secure. Le Commissaire a déclaré que la fusion était susceptible d’entraîner une diminution substantielle de la concurrence en ce qui concerne les services fournis aux installations d’élimination des déchets dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien. La Commission a en outre affirmé que les gains en efficience réclamés par Secure étaient surévalués et ne compensaient pas les effets anticoncurrentiels quantifiés de l’opération.

La décision du Tribunal n’a pas encore été communiquée. L’audience sur le fond faisait suite aux tentatives infructueuses du commissaire visant à soit interdire l’exécution de l’opération, soit exiger que l’acheteur conserve l’entreprise acquise séparément.

Rogers et Shaw

Le Tribunal étudie actuellement la demande du commissaire qui conteste le projet d’acquisition de Shaw Communications par Rogers. Le commissaire tente de bloquer l’opération. Le commissaire a ainsi soutenu que le dessaisissement proposé de Freedom Mobile de Shaw à Vidéotron, une filiale de Quebecor inc., n’est pas suffisant pour remédier aux effets anticoncurrentiels de l’acquisition.

Cette audience se déroule selon une procédure accélérée et devrait se poursuivre jusqu’à la mi-décembre.

Évolution importante des examens au titre de la sécurité nationale

Depuis plus de dix ans, l’examen au titre de la sécurité nationale des investissements étrangers est au cœur de l’administration de la Loi sur Investissement Canada. En 2022, nous avons assisté à plusieurs évolutions importantes dans l’approche du gouvernement fédéral en matière d’examen au titre de la sécurité nationale.

Au début de cette année, le gouvernement a recommandé à tous les investisseurs étrangers et aux entreprises canadiennes d’examiner attentivement leurs projets d’investissement afin d’établir tout lien potentiel avec des investisseurs et des entités russes susceptibles de participer à des investissements tant majoritaires que minoritaires. Le gouvernement a émis un avertissement selon lequel tout investissement, quelle que soit sa valeur, ayant des liens, directs ou indirects, avec une personne ou une entité associée ou soumise à l’influence de l’État russe ou contrôlée par celui-ci, appuierait une conclusion du ministre selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que l’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité nationale du Canada.

Le 2 août 2022, des modifications au Règlement sur les investissements susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale (examen) ont permis – pour la première fois – à un investisseur non canadien d’obtenir volontairement une dispense du régime de sécurité nationale du Canada avant la clôture, lorsque l’investissement proposé n’est par ailleurs pas assujetti à une notification obligatoire ou à un examen fondé sur l’avantage net. En déposant une notification volontaire, un investisseur non canadien peut déclencher la période d’examen initiale de 45 jours en vertu du régime de sécurité nationale avant la clôture. Ainsi, l’investisseur est en mesure de savoir avec certitude si l’investissement proposé ne suscite pas de préoccupations relatives à la sécurité nationale avant de réaliser l’investissement.

En revanche, les modifications laissent plus de temps au gouvernement – plus précisément cinq ans, par rapport à 45 jours – après la date de mise en œuvre de l’investissement pour entreprendre un examen au titre de la sécurité nationale, dans le cas où un investisseur choisirait volontairement de ne pas notifier l’investissement. Cette mesure est manifestement destinée à encourager les notifications volontaires.

Les minéraux critiques

Le 28 octobre 2022, le ministre, en collaboration avec le ministre fédéral des Ressources naturelles, a publié une politique relative au traitement des investissements des sociétés d’État étrangères dans le secteur canadien des minéraux critiques. Cette politique s’applique à tout investissement direct ou indirect d’une société d’État étrangère dans une entreprise canadienne engagée dans la chaîne de valeur du secteur des « minéraux critiques ». Il s’agit notamment des minéraux répertoriés sur la Liste des minéraux critiques du gouvernement. La politique s’applique, quelle que soit la taille de l’investissement et indépendamment du fait que l’investissement soit ou non susceptible d’être examiné, en vertu des dispositions générales sur l’avantage net de la Loi sur Investissement Canada.

Selon cette politique, tout investissement d’une société d’État étrangère (ou d’un investisseur étranger influencé par l’État) dans le secteur canadien des minéraux critiques servira de base à une conclusion selon laquelle l’investissement pourrait être préjudiciable à la sécurité nationale. Cela donne à penser que tout investissement direct ou indirect d’une société d’État étrangère, ou d’un investisseur étranger influencé par l’État, quelle que soit sa taille, et ce, dans le secteur canadien des minéraux critiques, devrait s’attendre à recevoir un avis lui indiquant qu’un examen au titre de la sécurité nationale pourrait être ordonné par le Cabinet. Il est important de noter que lorsqu’un avis d’examen potentiel est émis ou qu’un examen est ordonné par le Cabinet et que l’investissement n’a pas été mis en œuvre, celui-ci ne peut être réalisé tant que l’examen n’est pas terminé. Lorsque l’investissement est également soumis à un examen de l’avantage net, l’approbation ne sera délivrée qu’à titre « exceptionnel », en tenant compte de certains facteurs définis dans la politique.

Moins d’une semaine après la publication de la politique sur les minéraux critiques, le ministre a annoncé que le gouvernement fédéral avait ordonné à trois investisseurs étrangers de se départir de leurs investissements dans des entreprises canadiennes des secteurs des minéraux critiques. Ces investisseurs comptaient (entre autres) des activités d’extraction de lithium, tant au Canada qu’à l’étranger.

Conscient de l’importance de la transparence dans le processus d’examen au titre de la sécurité nationale en général, le ministre a déclaré que le gouvernement fédéral annoncerait les résultats des décrets définitifs du Cabinet à l’avenir. Cette volonté d’améliorer la transparence représente une évolution positive.

Nous avons précédemment discuté de ces restrictions sur les minéraux critiques et les ordonnances de désinvestissement dans notre précédent bulletin d’actualités Osler. Des renseignements supplémentaires concernant les minéraux critiques peuvent également être trouvés dans notre article portant sur le secteur minier.

Rapport annuel sur la Loi sur Investissement Canada – Données clés  

L’attention récemment portée à l’examen au titre de la sécurité nationale ne devrait toutefois pas faire oublier le fait que le Canada continue d’attirer des investissements étrangers provenant d’un large éventail de territoires. La grande majorité de ces investissements ne suscitent aucune inquiétude. Publié le 28 octobre 2022, le Rapport annuel 2021-2022 – Loi sur Investissement Canada a révélé qu’au cours de cette période, la Division de l’examen des investissements a certifié 1 247 notifications pour des acquisitions de contrôle ou des établissements de nouvelles entreprises canadiennes, et a approuvé huit demandes d’examen de l’avantage net – soit un total de 1 255 dépôts, ce qui représente une augmentation de 51,9 % par rapport au total des dépôts de l’exercice 2020-2021 et une augmentation de 21,6 % par rapport à l’exercice 2019-2020.

Quant aux examens approfondis au titre de la sécurité nationale, c’est-à-dire les examens qui dépassent la période initiale de 45 jours, ceux-ci demeurent rares et n’ont été effectués que pour 24 investissements. Cela correspond au même nombre d’investissements ayant fait l’objet d’un examen approfondi au titre de la sécurité nationale au cours de l’exercice 2020-2021. Parmi les 24 investissements soumis à un examen approfondi, 16 ont été autorisés à poursuivre, sept ont été retirés et un examen était toujours en cours au 31 mars 2022. La proportion de cas qui ont été autorisés à poursuivre est remarquable, et représente un net changement par rapport aux premières années du processus d’examen au titre de la sécurité nationale, lorsque très peu de cas pouvaient aller de l’avant après un examen approfondi.

Perspectives pour 2023

L’année qui vient promet d’être marquée par une importante réforme du droit de la concurrence, au moment où le ministre commence à solliciter l’avis des parties prenantes sur les améliorations à apporter au droit de la concurrence et au cadre stratégique défini dans la Loi sur la concurrence. Par ailleurs, nous continuerons à surveiller les événements géopolitiques qui sont de plus en plus souvent pris en compte dans l’approche du Canada en matière d’investissements étrangers au Canada.