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À partir de quel point la densification atteint-elle ses limites? Les défis de la densification urbaine

Auteur(s) : Paul Morassutti

Le 11 janvier 2023

Au plus fort de la pandémie, nous avons assisté à une accélération très rapide du phénomène des achats effectués en ligne et avons été à même de constater l’incidence que cela a eue sur l’immobilier. La demande d’espaces industriels est devenue insatiable alors que la demande d’espaces physiques de vente au détail était – au mieux – tiède. Tout indique que cette tendance devrait se poursuivre dans un avenir prévisible, bien que des efforts concertés en faveur d’un retour dans les bureaux, au moins dans certains secteurs, aient apporté une certaine aide aux surfaces commerciales physiques dans des marchés urbains centraux à forte densité d’espaces de bureaux.

Nous assistons aujourd’hui à un autre effet induit par la société sur l’immobilier, bien que cet effet ait été beaucoup plus progressif, à savoir la « densification » de l’immobilier urbain. Si cette tendance est principalement liée à la migration urbaine et à la pénurie de biens immobiliers résidentiels abordables qui en résulte, elle devrait avoir des répercussions sur de nombreux autres secteurs immobiliers. Tous les acteurs de l’espace immobilier ont donc intérêt à suivre l’évolution de ces changements.

Défis liés à la migration urbaine

Depuis longtemps au Canada, la tendance est à une migration continue de la population vers les centres urbains, et ce, malgré la promesse du travail à domicile. Compte tenu de l’augmentation considérable de l’immigration proposée au cours des trois prochaines années, cette tendance non seulement se poursuivra, mais pourrait aussi s’accélérer. Cette croissance de nos villes présente des défis très réels. Le besoin de plus de transport en commun est permanent; quelle que soit la mesure dans laquelle l’offre de transport en commun est bonifiée, beaucoup de nos villes demeurent aux prises avec des embouteillages et des transports inefficaces, ce qui nuit à notre productivité. De même, le besoin de plus de logements et en particulier de logements abordables – au sens large du terme – est devenu critique. L’offre actuelle ne peut pas satisfaire à la demande actuelle, et encore moins une augmentation de cette demande. Cette pénurie entraîne une hausse des prix hors de portée de ceux qui ont besoin d’une maison ou qui en veulent une, et ce, malgré de récentes baisses de prix qui s’expliquent en partie par la hausse des taux d’intérêt. Cette question est désormais devenue une question politique dominante.

Alors, que doivent faire les villes? Ce sont les administrations municipales qui exercent le contrôle sur le zonage dans leurs villes respectives. En exerçant un tel contrôle, elles ont une influence directe sur la quantité et le type de logements construits ainsi que sur les endroits où les logements sont construits. Nous voyons des municipalités mettre en œuvre des changements de zonage pour encourager une plus grande densité le long des lignes de transport en commun, dans l’espoir que cette offre supplémentaire de logements ne fasse pas augmenter la congestion routière. Nous constatons également que les centres commerciaux font un meilleur usage de leurs parcs de stationnement, en les mettant sous terre et en ajoutant de nouveaux éléments multirésidentiels pour donner un coup de pouce au commerce de détail. En outre, nous constatons un regain d’intérêt pour l’achat de droits de superposition afin de créer des aménagements à plus forte densité.

Toutefois, ces initiatives progressives s’inscrivent davantage dans l’évolution progressive et naturelle d’une ville. Elles sont loin d’être suffisantes pour répondre au besoin toujours croissant de logements abordables. La demande continue de dépasser l’offre, tandis que les élus municipaux se heurtent régulièrement à la résistance de militants locaux qui s’opposent à tout projet de logement à grande échelle dans leurs quartiers. En outre, la plupart des conseils municipaux ont leurs propres priorités politiques qui placent rarement l’augmentation du nombre de logements abordables en tête de ces priorités. Ce n’est traditionnellement pas un sujet politiquement populaire. 

Des réponses législatives émergent en 2022

Par conséquent, les gouvernements provinciaux du Canada ont envisagé de passer outre aux municipalités en adoptant des lois provinciales pour promouvoir l’offre de logements. Par exemple, en Ontario, le dépôt du projet de loi 23 – Loi de 2022 visant à accélérer la construction de plus de logements – fait partie du Plan d’action pour l’offre de logements de la province, lequel vise à mettre 1,5 million de maisons sur le marché d’ici 2031. Il s’agit du deuxième texte législatif visant à remédier à la pénurie de logements qui a été déposé en 2022. Des versions annotées de la loi en question figurent dans notre bulletin d’actualités Osler du 29 novembre.

Le premier était le projet de loi 109 – Loi de 2022 pour plus de logements pour tous –, qui impose des pénalités aux municipalités si les décisions ne sont pas prises dans les délais fixés pour les demandes d’aménagement de logements présentées à partir du 1er janvier 2023. L’Ontario cherche également à assurer une certitude à l’égard des coûts en ce qui concerne les droits et coûts associés à l’aménagement. Il s’agit notamment de proposer une augmentation progressive des redevances d’aménagement et de plafonner la superficie des parcs pouvant être exigée. L’Ontario envisage également de limiter les circonstances dans lesquelles les approbations d’aménagement peuvent faire l’objet d’un appel auprès du Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire. Ce tribunal est un organisme unique dans la province qui peut infirmer des décisions municipales concernant des approbations d’aménagement. Sans surprise, l’opposition commence à se manifester. Des groupes de contribuables locaux et des groupes de défense de l’environnement ont déjà exprimé leur opposition à l’idée de perdre la qualité pour agir dans le cadre d’appels interjetés devant le Tribunal de l’aménagement du territoire. On peut supposer que les conseils municipaux feront également connaître leur point de vue sur la perte de contrôle des redevances d’aménagement et des projets de zonage sur leur territoire.

Si l’Ontario est à l’avant-garde de cette tendance – ce qui n’est pas surprenant, étant donné que le premier ministre Ford a déjà démontré sa volonté de passer outre les décisions municipales –, d’autres provinces semblent prêtes à adopter une approche similaire. La Alberta Housing Amendment Act (en anglais seulement) a été adoptée en avril 2022. La loi jette les bases de l’amélioration et de l’expansion du système de logement abordable de l’Alberta en permettant la mise en œuvre d’initiatives clés dans le cadre d’une nouvelle stratégie de logement abordable sur dix ans.

En Colombie-Britannique, le législateur a introduit une taxe sur la spéculation et les logements vacants et a majoré la taxe pour les acheteurs étrangers dans le but de réduire la spéculation immobilière et l’escalade des prix qui en résulte. De plus, la province envisage des mesures pour augmenter le financement et raccourcir le processus d’approbation de nouveaux logements, reconnaissant ainsi qu’il existe un problème d’offre ainsi qu’un problème de spéculation.

Au Québec, le premier ministre Legault, récemment réélu, a fait campagne en partie sur la promesse d’augmenter le nombre de logements abordables. Ses détracteurs en exigent encore plus pour répondre aux besoins de cette province.

En Nouvelle-Écosse, les enquêtes ont conclu que les décisions locales en matière d’utilisation et de planification du territoire et le processus d’approbation correspondant étaient devenus un obstacle à la construction d’un nombre suffisant de logements. Un comité exécutif nommé par la province a donc recommandé que le ministre des Affaires municipales et du Logement se substitue aux conseils locaux pour faire passer un certain nombre de projets de construction de logements potentiellement impopulaires dans des aires d’aménagement spéciales identifiées. 

Une autre tentative unique et notable de résoudre la crise de l’offre de logements se situe près du centre-ville de Vancouver. Il s’agit de l’aménagement Senakw de la Première Nation Squamish. Cette Première Nation utilise le statut juridique spécial de l’une de ses réserves, qui est exemptée de zonage et de règlements locaux, pour créer une communauté très dense de 10 000 personnes. Ces mêmes circonstances ont fourni un autre moyen de surmonter ou de contourner le pouvoir des fonctionnaires ou la résistance municipale.

Le succès de ces initiatives reste à voir, mais il est clair qu’il est maintenant largement reconnu que les villes canadiennes ont désespérément besoin de beaucoup plus de logements. Cependant, on ne sait toujours pas si cette nouvelle orientation des gouvernements provinciaux permettra au secteur résidentiel de surmonter l’augmentation actuelle des coûts de construction, la hausse des taux d’intérêt et la baisse des prix de vente. À mesure que la population canadienne croît et continue de migrer vers les centres urbains, il est inévitable que la densification s’accroisse. Il faudra de plus en plus de logements, ainsi que des infrastructures de transport, des écoles et des installations médicales ainsi que des lieux dédiés à l’emploi, à la vente au détail et à l’accueil. 

Incidence sur d’autres catégories d’actifs

Comme indiqué plus haut, nous étions déjà témoins d’exemples de densification, et il sera donc intéressant de voir quelle incidence ce nouvel accent mis sur la bonification de l’offre de logements aura sur d’autres catégories d’actif.

Ces initiatives devraient accélérer l’ajout d’aménagements multirésidentiels, y compris dans les centres commerciaux, afin de renforcer la valeur des actifs commerciaux. Dans le secteur industriel, une population croissante pourrait maintenir la demande d’espaces d’entrepôt, malgré l’offre tendue et les loyers élevés. Dans le secteur des espaces de bureaux, on ne sait pas encore si les niveaux d’occupation des bureaux, qui restent bien en deçà des niveaux d’avant la COVID, seront touchés.

Cette densification de l’immobilier urbain pourrait être de bon augure pour toutes les catégories d’actif immobilier au Canada. Cependant, une gestion efficace de cette croissance inexorable des populations urbaines est essentielle, surtout si les municipalités continuent de l’entraver. La réaction des gouvernements provinciaux à la crise du logement met en lumière cette question, mais on ne peut pas s’attendre à ce que les gouvernements provinciaux « dérogent » à la rescousse à répétition. Il s’agit peut-être d’un signal envoyé aux administrations municipales du pays pour qu’elles augmentent leurs ressources afin de mieux servir leur population croissante. 

En outre, d’autres outils seront nécessaires pour composer avec cette croissance inévitable. Pensons, par exemple, à un zonage ciblé prévoyant des niveaux de densité accrus, à l’encouragement du transfert de droits de superposition, à des incitatifs pour des projets à usage multiple et à une offre bonifiée de transport en commun. Non seulement la croissance démographique entraînera une demande de logements, mais les nouveaux résidents auront également besoin d’un lieu de travail, d’endroits où effectuer leurs achats, de lieux où se restaurer, d’endroits où jouer et de moyens de se déplacer efficacement. Les municipalités qui parviennent à relever ces défis continueront à attirer des investissements et de la croissance. Les municipalités qui ne le font pas courront le risque inverse.